Depuis la préhistoire, des "œuvres" se donnent pour sujet la nature. À l’origine, les représentations artistique de la nature sont des outils de communication entre les individus comme entre le monde humain et divin. Elles sont également la trace d’une forme d’appropriation du monde extérieur, déjà liée à la sensibilité de l’auteur. Mais de l’homme préhistorique, plongé dans une nature sauvage et intacte, à l’homme moderne vivant en ville et associant la nature, la campagne et la mer aux loisirs, le rapport à la nature dans l’art n’a cessé d’évoluer.
Le fait que la nature ait toujours été une source d’inspiration majeure des artistes, toutes disciplines artistiques confondues, relève de l’évidence. Qu’elle soit muse ou la matière même de l’œuvre, elle n’a cessé d’être objet de représentation, quel que soit le médium retenu par l’artiste. Des parois de Lascaux aux mouvements contemporains des années 1970, comme l’Arte Povera ou le Land Art, la nature occupe une place centrale dans les représentations artistiques plastiques.
Les représentations de la nature sont souvent une imitation de la nature, une récréation de sa réalité, une représentation mimétique qui signale, par le passage de trois dimensions à deux, son caractère artificiel. Mais, pour Aristote, cette imitation de la nature par l’art est un moyen pour l’Homme de se rapprocher du monde, de tenter de le comprendre ; il s’agit d’une appréhension et d’une appropriation intellectuelles : la mimesis permet à l’homme d’interpréter le réel et de l’apprivoiser, tout en se rapprochant d’une démarche scientifique de connaissance du réel, de classification, de la faune, de la flore, des roches, des paysages, comme pour les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Cette interprétation du monde qui l’entoure par l’art est propre à l’être humain et cet acte de création lui permet de trouver sa place dans la nature, en se positionnant au-dessus du monde animal.
Dès lors, la finalité de l’art n’est pas uniquement de mieux comprendre la nature, mais bien de s’élever au-dessus d’elle en en représentant différents états et en passant par le prisme de perception intrinsèque à tel ou tel artiste, lequel s’inscrit plus largement dans un système de valeurs propre à une époque : le paysage de la Renaissance est totalement différent du paysage romantique alors qu’il s’agit de la même nature. L’art transcende la nature, et quel que soit le médium choisi —peinture, sculpture, dessin, estampe, installation — l’artiste dit à la fois quelque chose de lui, de ses croyances, de ses espoirs, de ses idéaux comme il dit aussi quelque chose de comment, à une époque donnée, on concevait collectivement la nature, un lieu dangereux, un lieu à conquérir et dominer, un lieu où se réfugier, où se perdre, un lieu à contempler, un lieu à préserver. Toute représentation de la nature, mis à part pour une peinture purement décorative, dépasse le seul aspect esthétique de la nature, elle est la trace d’une intention qui dépasse la réalité représentée et c’est ce que le spectateur doit alors décrypter face à l’œuvre. Et c’est que dit Baudelaire dans son poème « L’Homme et la mer » : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! / La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme / Dans le déroulement infini de sa lame, / Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
Mais la représentation de la nature ne peut faire l’économie de problématiques dues à l’anthropocène et c’est à partir des années 2010 que change radicalement la vision que les artistes ont de la nature. L’art devient clairement le reflet des inquiétudes écologiques de l’époque, notamment avec l’exposition After Nature organisée en 2008 par le curateur Massimiliano Gioni au New Museum de New York. À propos de cette exposition, le critique d’art Jerry Saltz du New York Magazine affirme que les œuvres plastiques qui représentent la nature changent de paradigme et font clairement état des inquiétudes sur le futur de l’être humain : « Il s’agit (…) d’un changement d’ambiance ou d’attentes, un désir que la portée de l’art puisse dépasser les simples effets spectaculaires, les chiffres à plusieurs zéros, et les divers stratagèmes. Un changement passant de la théâtralité au drame effectif, de l’art dont le sujet est de vendre de l’art à un art à la fois sérieux et ironique, soucieux de toucher un public qui ne soit pas le public cool et accessoirisé habituel ». Les artistes contemporains désirent que la portée de l’art dépasse les simples effets esthétiques, cesse de ne renvoyer qu’à lui-même : l’œuvre doit devenir l’objet d’une prise de conscience de la réalité du monde. À travers les représentations artistiques de la nature, les visiteurs doivent être sensibilisés sur les enjeux écologiques de notre époque.
Dès lors, l’art contemporain a tendance à nous dépeindre un monde dominé par les activités humaines en mettant en valeur leur impact sur la nature. Pour une nouvelle génération d’artistes, la distinction entre nature et culture est devenue obsolète. Le retour à une nature indomptée n’est pas envisageable, comme c’était le cas dans les années 1960. La nature revient au cœur de l’art, mais cette fois pour donner une leçon d’humilité à l’Homme, désormais conscient de sa propre et proche finitude.
Nombreux sont les grands maîtres de l’estampe ayant partagé leur admiration pour les beautés de la nature, notamment les artistes japonais : de nombreuses estampes japonaises, la plupart imprimées en couleurs à partir d’une matrice en bois, s’attachent à représenter de nombreuses vues de la nature et de paysages variés, souvent avec une fonction clairement pédagogique d’éduquer les enfants et d’éveiller leur goût pour la nature.
Les estampes qui représentent la nature, qui la célèbrent sont innombrables, et leur variété même fait leur richesse : laissez-vous alors simplement guider par le charme des estampes.
Franck Belpois