L’animal a été l’un des premiers sujets de l’art : sa représentation, que ce soit avec la peinture pariétale, les totems, des objets qui l’évoquaient symboliquement, est commune à presque toutes les civilisations et elle témoigne de la relation fondamentale qui l’unit à l’être humain. Représentés sur de multiples supports, les animaux restent un sujet fondamental dans l’art, quels que soient les mouvements artistiques et les techniques employées, jusqu’à aujourd’hui.
La manière dont les animaux ont été utilisés à des fins artistiques varient et différent selon les époques et les lieux de production de ces représentations artistiques. Mais ce qui les relie et explique leur omniprésence touche à la forte charge symbolique dont l’homme a chargé les animaux, d’autant plus que la proximité, spatiale, affective, symbolique entre être humain et animal montre la fascination du premier pour le second.
À partir du XVIIe siècle, la représentation des animaux devient un genre de la peinture occidentale à part entière. Alors que certains artistes intègrent des animaux dans des scènes générales, l’artiste animalier décide de faire de l’animal le sujet central de son œuvre, ou tout du moins un sujet prééminent. La représentation d’animaux dans l’art requiert une observation longue, patiente et délicate, pour être en mesure de saisir les figures et les postures avec justesse. D’après la hiérarchie des genres établie par l’Académie royale « celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que celui qui représente des choses mortes et sans mouvement » (André Félibien, Conférences de l'Académie, 1667), même si de nombreux peintres ont excellé dans le genre de la nature morte.
Si le bestiaire médiéval a produit des représentations symboliques de l’animal, lesquelles s’inscrivaient dans la logique de la religion chrétienne en construisant une axiologie — un classement moral— entre le bien et le mal, entre la licorne et le dragon, l’agneau et la gargouille — tel qu’on peut le voir dans Le Jardin des délices de Jérôme Bosch— par la suite, la représentation des animaux dans l’art a évolué vers des illustrations précises et détaillées, dédiées à l’étude quasi scientifique de l’animal. Cette volonté de reproduire au mieux la réalité de l’animal a ouvert la voie aux artistes naturalistes du XIXe siècle, dont la démarche artistique les rapprochait de la science, l’un des exemples les plus emblématiques restant Birds of America de Jean-Jacques Audubon.
Mais depuis la seconde moitié du XXe siècle, comme pour la représentation de la nature, la figure de l’animal change de paradigme, prend d’autres significations et peut devenir le symbole des dérives technologiques scientifiques avec l’hybridation homme-animal, le clonage, et participer à l’évocation de problèmes écologiques majeurs de notre époque, comme si le lien ancestral entre homme et animal avait été brisé et que l’être humain avait perdu une forme d’humanité qui le reliait à d’autres formes de vie, animales comme végétales. Les travaux du plasticien Maurizio Cattelan, comme La Ballade Trotski en 1996, sont emblématiques de cette évolution dans la représentation de l’animal.
La plupart des œuvres qui mettent en scène des animaux permettent d’illustrer, à travers le choix de tel ou tel animal, des valeurs et des comportements humains, ce qu’a fait Jean de La Fontaine avec ses Fables par exemple : l’animal est alors le miroir des émotions, des caractères de l’homme — les caricaturistes ont beaucoup utilisé l’animal pour représenter un type d’individu, voire une personne réelle, à des fins comiques ou satiriques. Les caractéristiques humaines associées à l’animal en fonction de son espèce sont variées. Certaines espèces sont d’emblée perçues comme nobles dans l’imaginaire collectif et associées à la douceur, à l’innocence ou à des valeurs positives comme la bravoure, la résistance, la ténacité ; d’autres sont représentées comme fourbes, agressives, ou profondément mauvaises, potentiellement dangereuses
Actuellement, la représentation de l’animal participe à une démarche militante, en faveur de la défense de la condition animale et de son exploitation par l’homme. Lorsqu’un artiste choisit de confronter les spectateurs à des animaux mis en scène d’une façon macabre ou à des animaux morts, l’œuvre a un rôle de révélateur. La présence de la mort brise l’hypocrisie générale, en mettant en lumière la souffrance animale que les industries s’acharnent à dissimuler et à faire oublier aux consommateurs, qui n’ont pas alors toujours nettement conscience des dérives inacceptables de leur élevage industriel.
Par ailleurs, l’art contemporain s’autorise à bouleverser les catégories admises dans le monde animal, en détournant la grande galerie de l’évolution. L’art devient un prétexte pour rompre avec la dichotomie rassurante entre l’homme et l’animal, en représentant des chimères et des créatures effrayantes. Ainsi, la représentation des animaux permet à l’art d’endosser un rôle provocateur, cherchant perpétuellement à briser les frontières et à éveiller des consciences.
Il n’est donc pas étonnant de trouver de nombreuses estampes représentant des animaux, et cela depuis le développement de cette technique. Ces pièces, d’intérêt à la fois artistique et historique, témoignent de toute la puissance et de la richesse symbolique de l’animal au sein des diverses civilisations. Les chats et les carpes étaient par exemple des sujets de choix dans les estampes japonaises, mais on trouve des estampes animalières sur tous les thèmes : les animaux exotiques, les animaux domestiques, l’anthropomorphisme, des allégories, chimères et bêtes effrayantes, en passant par des représentations scientifiques, ou encore des scènes de chasse. Bien entendu, ces divers thèmes sont liés aux époques de production, mais on trouve des estampes d’animaux pour tous les goûts.
Franck Belpois