Le grand nombre d’œuvres ayant pour sujet les fleurs ne manque pas de nous rappeler que les artistes, ces horticulteurs d’un autre genre, ont étendu notre connaissance du monde végétal, notamment d’un point de vue scientifique.
Le dialogue entre la science et les représentations artistiques de fleurs débute avec l’apparition d’illustrations botaniques dont la vocation était de représenter avec précision l’anatomie et les caractéristiques des différentes espèces de fleurs. Ce type de dessin se développe à l’époque des grandes découvertes aux XVe et XVIe siècles. Et grâce aux progrès techniques, notamment d’impression, l’art botanique acquiert ses lettres de noblesse. Le XVIIIe siècle va voir apparaître des planches d’une précision et d’une sophistication inédites, et le genre est particulièrement apprécié grâce à l’engouement pour les sciences naturelles et la publication de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert.
Hormis ces illustrations scientifiques, les différentes fleurs ont essaimé plus largement dans toute l’histoire de l’art. Leur représentation s’est diffusée à partir de la Renaissance, époque durant laquelle les artistes s’attachent à reproduire le monde qui les entoure de la façon la plus fidèle possible. L’habileté et la délicatesse nécessaires à la réalisation des bourgeons, des pistils et des pétales ont permis aux artistes d’affûter leur regard, tout en affirmant leur talent et une réelle virtuosité, dont l’un des exemples emblématiques se voit dans La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli (1484) avec les motifs floraux dessinés sur la robe de la divinité du printemps à droite et dans le manteau avec lequel elle va recouvrir la nudité de Vénus.
Plus proche de notre époque, les impressionnistes souhaitent transposer les vibrations visuelles des fleurs, qu’ils composent comme un ensemble chaotique, sans se soucier de cohérence dans la taxinomie botanique : seules importeront alors le jeu des couleurs. Aux prémices du XXe siècle, les fleurs, les feuilles, les bourgeons, les corolles, les pistils deviennent des objets de curiosité, évoquant des motifs ornementaux de l’orfèvrerie ou de l’architecture. Les fleurs et autres végétaux constituent alors un répertoire de formes, dont l’ambiguïté inspire les artistes et créateurs jusqu’à maintenant — que l’on songe au travail du photographe Robert Mapplethorpe sur les fleurs. En mettant en lumière la diversité des textures, des couleurs et la complexité de la flore, l’art sous toutes ses formes transforme notre regard sur la nature et nous apprend alors à mieux voir.
Les différentes mythologies et religions ont associé les espèces de fleurs à une palette de qualités morales ou de sentiments. Les artistes ont été les premiers à s’approprier ce langage des fleurs et à le laisser s’exprimer à travers leurs œuvres : le jasmin pour symboliser la pureté, la rose un amour pur et éternel, le narcisse l’égoïsme, etc. Les fleurs, à première vue muettes, ont de nombreuses choses à dire à travers l’art. Arrangées en bouquets dans les vanités, sur le point de faner ou de fleurir, les fleurs font écho à notre condition humaine et incarnent la fragilité de la vie, sa brièveté et l’inéluctabilité de la mort. Parfois, les compositions florales défient les lois de la gravité ou la logique des périodes de floraison, car les artistes se plaisent à représenter leurs fantasmes, en faisant fi de la réalité botanique.
Ces dernières années, les biologistes ont découvert que les fleurs ne sont pas seulement dotées d’un langage qui leur est propre, mais aussi d’une mémoire. En effet, la science reconnait à la flore des capacités cognitives, voire émotives. Si cette information peut en dérouter plus d’un, les artistes, eux, ont toujours approché les fleurs de manière sensible et attentive, comme s’ils souhaitaient apprivoiser le vivant.
De nombreuses estampes, quelles que soient l’époque et les techniques employées, mettent les fleurs à l’honneur. C’est d’ailleurs un thème de prédilection dans l’art japonais du début du XXe siècle, notamment avec des artistes du mouvement shin-hanga (« nouvelles gravures »), tels Imao Keinen (1845-1924) ou Ohara Koson (1877-1945), qui vont à leur tour célébrer les fleurs et la nature, et se passionner pour leurs plus infimes variations, puisant dans leurs formes et leurs textures une formidable source d’inspiration graphique.
Renouer avec la nature, observer le fil des saisons, admirer la beauté des différentes espèces de fleurs, autant de thèmes qui ont été explorés par divers artistes à travers l’estampe. Grâce aux diverses techniques d’impression, ils figent le caractère fragile et éphémère des fleurs.
Les œuvres florales célébrant les fleurs et la nature se passionnent pour leurs variations les plus minimes et les plus délicates. Les différentes textures et formes des fleurs en font une source d’inspiration graphique de choix qui ont inspiré de nombreux graveurs, d’autant plus que certaines techniques de gravures comme le burin ou l’eau-forte permettent de mettre en valeur de nombreux détails, de créer de véritables floraisons graphiques.
En consultant notre sélection d’estampes florales, vous vous apercevrez qu’elles ne sont pas seulement purement descriptives ou décoratives, mais qu’elles révèlent également comment les artistes les rêvent, les fantasment et leur attribuent une force symbolique. Dans ces différentes pièces, les fleurs sont l’expression de nos émotions, mais témoignent aussi de notre relation parfois tumultueuse mais profonde avec la nature, un sujet plus que jamais actuel.
Franck Belpois