« Libre association », Cyrille Noirjean & Éric Corne
Tu disais qu’une image peut ouvrir à l’amour. Pour prendre le contre-pied en citant un titre de Marie-José Mondzain : l’image peut-elle tuer ? Elle n’est pas faite pour ça. Même s’il y a ce livre Le Tunnel, de Sabato, où une femme tombe amoureuse d’un tableau et la mort arrive par là… Mais je ne crois pas que ça soit ça.
Une image met en crise. Par exemple, la crise économique que nous vivons aujourd’hui. La question n’est pas de savoir comment marche ce micro mais pourquoi il y a ce micro ici… Pourquoi, alors que nous sommes amis, il y a un micro à nos côtés ? Et cette question du pourquoi, on ne l’entend jamais. Est-ce qu’il n’y a pas un pourquoi inepte à cette crise ? Sinon on fait de la gestion de crise mais on ne crée pas l’énergie de la crise.
En effet, on ne fait que gérer les effets d’une crise dont rien ne certifie l’existence.
Parce qu’arrive ce phénomène de vouloir en finir. Je crois qu’il y a une énergie sexuelle qui est aujourd’hui mise à l’index. Il y a le désir latent narcissique d’en finir, de ne plus produire d’images. D’être là le dernier jour comme une réponse : puisque je n’étais pas là le premier jour, je veux être là au dernier. Alors que la réponse de Nietzsche est bien plus intéressante : Dieu n’est plus là, alors je fais quoi pour espérer ? Je crois qu’un artiste se pose cette question-là. Il n’est ni un contempteur du monde dans lequel on vit ni dans le finissons-en. C’est ce qui me passionne dans la peinture faire surgir… Même si l’exposition de Richter était très tautologique, tout de même, il dit Si je ne pensais pas changer le monde quand je peins, j’arrêterais de peindre. Dans cette chose idiote, ridicule, absurde qu’est la peinture il y a quelque chose de fort. Le grand rire bergsonien serait une belle réponse ; la capacité d’en rire. J’aimerais bien que de ma peinture les gens puissent en rire… Le rire c’est une ouverture vers l’espérance aussi.
D’autres héros, il y aurait Jankélévitch. Un je ne sais quoi, ces petites choses qui font que ça continue. Il faut aimer pour être. La peinture fait partie de ces presque rien, ce que vous faites ici aussi pour demain.
Disons que ça permet de donner une ambiance…
Qui laisse la place à une énergie remuante. Cette version cynique iconoclaste de récupération de la pauvreté. Nous continuons à inventer des mythes même si nous n’arrivons pas à les nommer. L’art travaille là-dedans, mais ne s’y mêle ni raison ni sacré.
Le sacré c’est aussi l’infâme…
Le diable vient d’un ange. La science, par exemple, qui est dans un éternel progrès, qui veut produire le bonheur, elle produit aussi le Zyklon. Alors que la philosophie et l’art ne pensent pas le progrès. Y a-t-il un progrès en psychanalyse ? À la différence de la science…
On voit les effets du discours scientifique dominant. Sans doute l’art est dans une autre temporalité : non pas un temps linéaire…
La destruction de la peinture dans les années 80 s’est opérée de la volonté de progrès, le progrès comme maîtrise. L’image résiste.
Peut-être je voudrais dire… La peinture est la rencontre et l’attente d’un langage. La prise du pouvoir du langage contre l’image, c’est le symbolisme de l’art contemporain, héritier de la peinture d’histoire. Le réalisme de Courbet, l’art et la vie, c’est une lutte contre la peinture d’histoire. Soit je supprime l’œuvre et il n’y a plus que du discours, soit il n’y a qu’un discours qui répond à un autre discours. Mais il n’y a pas ce frottement du discours et de l’image qui crée une crise.
Ce que tu décris c’est l’inverse d’une image qui serait dans l’attente d’un dire : d’un regard et d’une forme d’interprétation, d’un sujet qui vient s’y frotter. Et souvent on nous donne la question et la réponse d’un seul tenant.
URDLA
Samedi 14 septembre à midi juste
Visite commentée
samedi 13 et dimanche 14 octobre à 15 heures
Soirée Pasolini – par Gilles Pastor
vendredi 16 novembre 20 heures