La saison 2013-2014 s’ouvre sous les auspices de Virginia Woolf dans la parution de ENFIN, textes Virginia Woolf, traduction et préface Jacques Aubert, lithographies Myriam Mechita. Les plus attentifs des urdléens auront noté que les ouvrages de bibliophilie sortaient avec moins d’entrain après le succès de l’exposition Poësimage (2001). Résultat de la rencontre entre un plasticien et un poète, ils manifestent leur appartenance à la tradition qu’on peut faire naître avec Le Corbeau, Edgar Allan Poe, Stéphane Mallarmé, Édouard Manet (1875). De ce fil ininterrompu on peut citer les Calligrammes, Apollinaire – De Chirico, Guy Debord – Asger Jorn, André du Bouchet – Tal Coat… À l’URDLA, point d’emboîtage luxueux, les pages précieuses sont conservées dans de simples coffrets de bois – choisis par Max Schoendorff, ils ne sont pas sans rappeler les boites des San Luis Rey qu’il fumait avec volupté.
Signes du passé : de même qu’on n’abandonnait guère son cigare que pour entrer à l’opéra en le confiant à un enfant des rues pour qu’il le maintienne allumé sans le fumer, de même l’amateur d’art et le bourgeois s’enorgueillissaient-ils d’une bibliothèque volumineuse et constituée de livres rares et d’artistes. Les mutations qui provoquent la crise violente du monde du livre aujourd’hui, modifiant durablement notre rapport à l’objet même et à la lecture, renforcent la position éthique de l’URDLA qui s’est fondée afin d’« œuvrer pour la sauvegarde et le développement de toutes les techniques relatives à la création, à la réalisation et à l’édition d’estampes originales, de multiples et de livres ainsi que de veiller à leur diffusion ». Manifestations de son origine, les livres de peintres paraissent dorénavant une fois l’an et donnent lieu à une exposition qui permet d’intégrer à l’ensemble de la production d’un artiste cette nouvelle voie. Les livres, élevés au rang d’œuvre d’art, se montrent.
ENFIN est un élément de l’exposition de Myriam Mechita The Blood & Flesh of Life (le titre est un emprunt à Virginia Woolf). Contrairement à la pensée courante donc réactionnaire, l’anglais n’est pas universel. La langue – parlée par chacun, entièrement vouée à l’illusion de la communication et de l’efficacité, n’a pas de commune mesure avec celle de Virginia Woolf ou bien encore de Wilfred Owen et Siegfried Sassoon qui apparaîtront dans le prochain numéro. Défense et illustration, c’est bien l’objet de l’URDLA qui se soutient du rapport à l’étrange(r).
Le projet qui nous occupe est né il y a plus de deux ans sous l’impulsion de Jacques Aubert, qui proposa de réunir deux extraits de textes de Woolf (il en donne le sens dans la préface) et de les soumettre au regard d’un artiste. Ainsi nous offre-t-il la possibilité de poursuivre un dialogue amorcé en 1992 : une traduction d’un poème de William Butler Yeats ponctuée de lithographies de Claudio Parmiggiani.
Myriam Mechita s’est imposée d’évidence. Qu’y avait-il dans son travail qui faisait signe à la figure de Woolf ? Il serait question d’ambiance : les dessins, les installations, et les céramiques de la Cité de Sèvres laissaient poindre quelque mélancolie sous le scintillement des couleurs. Mais aussi une position tenue avec fermeté dans la vie de l’œuvre et qui marque la place d’une femme (il ne s’agit pas là d’un féminisme ordinaire).
Cette rencontre eut des effets : les dessins montrés en mars à la Galerie Eva Hober (Paris), et les céramiques dernièrement réalisées à la Manufacture royale, indiquaient déjà les grandes lignes d’un dialogue Woolf – Mechita. De nouveaux objets apparurent : métaphores du travail en cours, des livres deviennent des sculptures, texte partiellement recouvert par l’alphabet propre à Myriam Mechita. L’exposition, composée d’œuvres récentes, déploie sur les cimaises et les socles de la galerie ce qui se joue entre les pages du livre. Gageure relevée, unique forme possible du dialogue : il faut être trois pour qu’une œuvre émerge.
» ça presse » est notre lien. Il lie entre eux les éléments de la vie quotidienne de l’URDLA (résidences, parutions, expositions) et en propose un sens, une interprétation. Lire, c’est interpréter.
L’exposition The Blood & Flesh of life à l’URDLA
Levant la main, elle imagina qu’elle éprouvait, affaibli, le choc des choses qu’il avait pensées plus d’un siècle auparavant, picotant, tels des messages de télégraphie sans fil, sur sa paume. Des gens pensaient, en ce temps-là tout comme maintenant ; et la pensée, après tout, est la chair et le sang même de la vie ; l’action lui paraissait alors tout à fait hors de proportion, comme si les gens venaient agiter des drapeaux sous votre nez. […] (Virginia Woolf.)
La parution à l’URDLA de ENFIN, texte de Virginia Woolf (traduction et préface de Jacques Aubert), lithographies de Myriam Mechita, constituera le cœur de cette exposition regroupant, autour de la figure de Virginia Woolf, les travaux les plus récents de cette artiste née en 1974 (dessins, céramiques éditées par la Cité de la céramique de Sèvres, livres, estampes).
« De quel monde a-t-elle surgi, cette Virginia Stephen, point encore Woolf, au moment même où naissait la Grande Guerre ? Il est trop facile d’en faire l’enfant gâtée un peu rebelle du monde victorien, de ses falbalas et dentelles surannés, rebelle au patriarcat et à ses violences. Elle fut la première à marquer qu’il était pour elle un autre monde, qui fût à la rencontre de l’autre. Et il se trouve que ce moment dont nous parlons, de la gestation des conflits à leur éclosion dans l’horreur des tranchées (son premier roman, The Voyage Out, parut en 1915), fut pour elle aussi un moment de crise et de renaissance : de naissance à l’écriture et de reconnaissance de son génie. » […] (Jacques Aubert.)
Objets brillants
À l’aide d’un simple crayon graphite, Mechita dispose ces figures féminines dans des paysages scintillants afin qu’elles absorbent mieux la lumière et le regard fasciné du spectateur. Elles s’élèvent au-dessus d’un champ jonché d’objets brillants : céramiques couvertes de platine, traînées de perles, larmes de verre ou de quartz, petits objets en bronze. Entre transparence et aveuglement, les installations de Mechita composent avec la matière autant qu’avec la lumière : replis, reflets, réverbérations, disparition.
Vie
La vie et la mort ne sont que les deux faces d’une même réalité. La mort s’immisce dans tous les interstices de l’édifice puisqu’elle est le lieu où toute vie s’abîme, puisqu’elle est l’ultime expérience de la limite. La vie se construit tout entière dans cet écart avec la mort. La femme et l’animal, la femme en animal, l’instinct de reproduction et la nécessité de la jouissance. L’œuvre vivante de Mechita investit le paradoxe inhérent à ces oppositions. » […] (Vanessa Desclaux, extrait, exposition Je suis le phoenix ou l’Amour en collier, galerie Eva Hober, mars-mai 2013.
URDLA
Samedi 14 septembre 2019 de 14h30 à 18h30