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Le soleil poudroie et l’herbe verdoie,
Cyrille Noirjean

C’était il y a quinze ans ; les Cavaliers de l’Apocalpyse entraînaient URDLA rénovée et restaurée vers une nouvelle décennie. Damien Deroubaix avait déjà façonné et noué le trépied élaboré lors de ses années de formation à Saint-Étienne, qui lui sert aujourd’hui encore d’appui : la culture picturale classique, les violences du monde, le Heavy Metal. Très tôt aux beaux-arts rencontre-t-il la gravure (entendons ici l’image imprimée dans la multiplicité de ses techniques). Les premières gravures éditées à URDLA (2001) – qu’il dit ne plus pouvoir regarder – sont les témoins du temps où le langage plastique commence de s’articuler. Apokalyptische Reiter (octobre-décembre 2009) manifeste son goût allemand, son regard acéré pour les classiques et un usage singulier de la citation et de la reprise picturale. Il s’agissait là d’Albrecht Dürer : dans cette série de très grandes gravures sur bois, les créatures polymorphes associaient des éléments graphiques tout à fait identifiables : aile de la Grande Némésis, tête de bouc, totenkopf à la manière d’un cabinet de curiosités des actualités.

À peu près au même moment apparaissaient dans les expositions personnelles de Deroubaix des Family Tree : de grands dessins muraux, dont les fleurs ou les fruits étaient les œuvres d’autres artistes. Dans ces généalogies subjectives l’artiste ménageait une place aux autres et offrait au visiteur la possibilité de lire des amitiés, des influences, des connivences. La courtoise est rare. Parmi les Family Jewels : Yannick Vey, un conscrit des Beaux-Arts stéphanois. Il est sculpteur : le bois, le marbre, l’acier. L’habileté acquise dans la ciselure ouvre la voie à de grandes dentelles d’aquarelle. Dans le va-et-vient de la force, de l’engagement physique et du bruit constitutif du métier de sculpteur vers le calme, la contemplation et le silence du dessin c’est aux violences de la psyché  qu’il s’attache.

Polymorphie est dès lors d’évidence ; elle se feuillette dans la pratique (les media), dans les images (c’est la manière même de toute représentation) et dans l’amitié (elle en est le fondement). Le nœud insoluble sur lequel abouti Sigmund Freud d’intrication de l’intime et du collectif est le lieu de départ de l’un et de l’autre artiste : chacun depuis sa rive. C’était il y a quatre-vingt-quinze ans, en 1929, la question se formulait ainsi : « Le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d’autodestruction ? À ce point de vue, l’époque actuelle mérite peut-être une attention toute particulière. Les hommes d’aujourd’hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu’avec leur aide il leur est devenu facile de s’exterminer mutuellement jusqu’au dernier. Ils le savent bien, et c’est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux “ puissances célestes ”, l’Eros éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non moins immortel. » (Malaise dans la civilisation). Les œuvres (peintures, sculptures, dessins, lithographies) que réunit l’exposition se logent dans l’ouverture à l’invention et à la création que le pessimisme intransigeant de Freud (la formule est d’Adorno) offre. Le poulpe de Deroubaix ouvre l’exposition : animal qui passe partout, qui se faufile, qui s’étire, capable de coordonner sa couleur à la lumière et à son environnement ; il est aussi un impossible du peintre. Comment fixer ce qui est mouvant de couleurs et de formes ? Difficile d’évacuer qu’avec son nom de pieuvre l’animal sert à imager les dominations et les mafias, soit les pulsions d’agressions et d’autodestruction collectives : il paraît que même s’il est décapité les tentacules peuvent poursuivre leur office. La gamme chromatique de la peinture à l’huile s’éclaire des collages de gravures sur bois imprimées sur papier japon.  Le voisinage de la lithographie en noir permet d’apercevoir l’art de Deroubaix. Tout d’abord au fil des ans, les motifs empruntés à l’histoire de l’art ou surgis d’on ne sait où, se superposent, s’affirment puis disparaissent lentement. Ainsi la forme du poulpe n’est pas sans évoquer les ampoules noires qui, il y a quelques années peuplaient dessins, sculptures et gravures. Transcription d’une forme, d’un motif à un autre. De même la peinture est transcription du plaisir d’un moment de peinture. Il faut oublier le motif, le discours, la signification, coller son nez au tableau et suivre les mouvements de telle irisation qui crée le guet pour passer à une autre couleur, et sauter de touches en touches de pinceau, et parcourir les linéaments des craquelures… L’œil – ça n’est plus le regard –, l’œil sillonne le labyrinthe des plaisirs du peintre. 

Yannick Vey propose au visiteur des labyrinthes d’une autre structure. Leur parcours est simple, il s’agit plutôt de chemins, d’espaces bornés mais non enclos desquels il faut sortir ou bien l’aventure est-elle intérieure. Deux serpents en acier ciré enchâssés indiquent au centre de l’exposition un point d’énergies telluriques, qui, comme les reptiles, glissent et rampent dans le lieu. Mais ce sont les Minotaures inversés quittant leur labyrinthe qui questionnent. De quelle copulation morganatique sont-ils les progénitures ? Dans cette toute récente série de lithographies en deux couleurs, aux teintes délicatement sombres, l’artiste joue des possibilités sur le fil de l’aquarelle en lithographie (ce qui est aussi, l’un des grands jeux répétés de Deroubaix en litho) et avec la représentation d’un autoportrait polymorphe. Yannick Vey indique sans détour la source de sa pratique : acquérir un savoir-faire qui passe en premier lieu par l’accueil de la colère et de la haine constitutives de tout être humain qui sont aussi un habit de la peur. Faire accueil, c’est-à-dire nommer pour re-connaître les pulsions d’agressions et d’autodestructions singulières, néanmoins communément partagées, dessine le chemin qui amène à la sortie du labyrinthe pulsionnel. Civiliser les pulsions pourrait-on dire est un acte singulier et collectif, pas l’un sans l’autre. Dès lors les images, au-delà de la métaphore, visent un réel.

 

Revenons un instant sur le fil de l’aquarelle lithographique : le principe physico-chimique joue de la relation antagoniste de l’eau et de la graisse. L’encre d’imprimerie (grasse) adhère au dessin (gras) de l’artiste réalisé sur le calcaire. La goutte d’huile ne se mélange jamais à l’eau du verre secoué. Ainsi s’effectue le transport du motif de la pierre humidifiée au papier. Transport, Francis Ponge a parlé de l’amour, du baiser de la pierre. La sensualité érotique du corps n’est jamais étrangère à l’artisanat. Une lithographie aquarellée ajoute de l’eau à la graisse de l’encre à dessiner. Dès lors la polymorphie physique et chimique du dessin déséquilibre le processus technique. Pour l’imprimeur c’est une gageure. Pour l’artiste il s’agit de faire accueil à l’aléa, à l’accident. Damien Deroubaix et Yannick Vey se rejoignent dans cet accueil pictural et cette polymorphie de fait et répétée.

Yannick Vey manifeste aussi sa sensibilité et son goût pour la polymorphie de la langue, les œuvres en donnent les images ; parfois les titres indiquent le chemin. Ainsi n’oublie-t-il pas ce que fut la langue française d’avant sa fixation par Port-Royal. Cette fixation bien postérieure suit le mouvement engagé par l’invention de la perspective : soit un monde hiérarchisé, qui ménage une place à Dieu d’où s’ordonne chaque élément visible et invisible du monde. Ça n’est pas sans effet sur la place ménagée à l’artiste et à la création. Ainsi n’oublie-t-il pas « Le Prêche aux oiseaux », ni la légende, ni la fresque de Giotto (1295-1299). Un exemple de cette langue des oiseaux qu’on peut entendre extrait des Bigarrures du Seigneur des Accords (1621) parce qu’il articule l’usage poétique de la langue, au corps et à la création, à l’objet : « Un Florentin amoureux d’une Barbara, portoit sa barbe longue, qui signifioit Barba, & une demie grenouillle, sçavoir la teste & les deux pieds de devant, pour dire que ce n’estoit que la premiere syllabe de Rana : il eut plus gaigné de porter sa barbe raze demy : car cela eust fait barbara-za. » Ainsi l’« Échelle de Jacob », réalisée pour l’exposition. À la manière d’un Midrash laïque et buissonnier, l’échelle mêle le prénom du lithographe, le savoir-faire de la sculpture et les puissances du rêve de Jacob-Israël qui renouvelle l’Alliance soit un pacte qui civilise le monde : un espace de métaphores et d’inventions communes, partagé. 

Le pacte est fragile, à quels étiréments, à quelles polymorphies, à quelles tensions peut-il tenir ? Quel est le point qui l’écroule ? L’invention – la création – c’est d’en proposer le renouvellement.  Les artistes y contribuent. « El Angel Exterminador » de Damien Deroubaix clôt l’exposition, elle reprend le motif d’un grand tableau encore à l’atelier peint pour le Musée Goya de Castres, il fera face dans l’exposition qui ouvre en juillet à « La Junte des Philippines », très grande toile de l’artiste espagnol, peinte vers 1815. (La manière dont Deroubaix envisage ce face à face évoque l’interprétation des Ménines par Daniel Arasse.) La citation, la reprise de motifs du tableau original, augmentées d’une trouvaille picturale d’une grande finesse qui accentue la mise en regard, qui ne sera pas ici dévoilée sauf à dire que la peinture c’est la lumière, signent le style de Damien Deroubaix. La lithographie n’est pas une reproduction du tableau, elle est la traduction graphique du dispositif plastique. Dans la peinture, les membres de la compagnie ont pris la forme de totems qui s’érigent dans la salle du musée. Ce sont des sculptures de Gaston Damag (Family Tree). La commande à laquelle Goya a répondu est liée au pouvoir de Ferdinand VII d’Espagne revenu d’exil. Le règne du monarque né dans la conspiration (retour du poulpe) s’installe dans l’absolutisme et le conservatisme, à l’encontre des idées des Lumières qui animaient le peintre. Entre 1810 et 1815, soit aux alentours de la réalisation de cette toile (3205 x 4335 cm) Goya travaille à la série des quatre-vingt-deux gravures « Les Désastres de la guerre. » Ainsi sommes-nous parvenus au croisement du pouvoir qu’il soit régalien ou bien celui du capitalisme (industriel naissant pour les membres de la junte ou financier mondialisé comme il l’est aujourd’hui) et de la création d’un artiste, soit la manifestation d’un désir singulier qui méconnaît la norme et la morale, qui dessine un passage.

C’était il y a quinze ans. Le motif reproduit pour annoncer l’exposition de Deroubaix à URDLA était emprunté à la grande gravure sur bois « Un homme nouveau », le titre évoque la sculpture d’Otto Freundlich qui fit la couverture du catalogue de l’exposition Art dégénéré organisée à partir de 1937. Pour la gravure : un squelette de gorille défèque une bulle dans laquelle est écrit « Money. » L’égrenage des dates depuis Dürer en passant par Jacques Callot et Goya, mais tout était déjà en place dans les grains de raisins de Zeuxis, jusqu’à Damien Deroubaix et Yannick Vey ne fait valoir que la répétition des heurts sur les mêmes butées de la censure et de la sensure. Leurs hoplites oublient que « toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une tâche de sang intellectuelle. » (Lautrémont). La fréquentation des œuvres et des artistes tient éveillé dans la danse.

23 mai 2024

photographies Cécile Cayon©

Cyrille Noirjean
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