Les objectifs de l’analyse d’une œuvre
L’analyse de l’œuvre d’art a trois objectifs :
Ce qu’apporte l’analyse d’une œuvre
Il n’est pas affirmé qu’une œuvre ne peut pas déployer tous ses effets dans une sorte d’instantanéité de la réception, mais l’analyse ajoute forcément un second temps. Comme elle prend du temps, elle permet de considérer une œuvre dans la durée, et de prendre ainsi en compte, dans l’idéal, tous ses aspects sensibles, formels et sémantiques. Ce temps accordé est une dimension essentielle de l’analyse plastique.
Avec ce temps consacré, l’analyse vise à considérer tous les éléments dits « plastiques » (dont l’étymologie nous renvoie plus ou moins directement à des formes changeantes, modelables, moulables, en tous cas dont on peut décider, ou en devenir). C’est à dire, par exemple, les lignes directrices, les formes, les rapports entre plein et vide, les rapports entre le format et les figures, etc.
Ce que nous fait l’œuvre et méthodologie
Une fois ces éléments observés, il s’agit de pouvoir qualifier leurs effets. Quel effet cela produit, tel ou tel contraste, telle ou telle relation entre ces formes, ces lignes….
Le regardeur (qui peut être parfois aussi spectateur, ou visiteur… selon la nature de l’œuvre et les intentions de l’artiste) qui analyse va donc être en mesure de dire quels effets sont produits, et par quoi exactement. Il lui faudra qualifier ces effets avec finesse, ce qui demande un vocabulaire riche et précis, car il est en réalité très difficile de qualifier avec précision tous les effets sensibles produits par un corps extérieur sur notre perception. Il est donc question d’éclaircir un rapport de cause à effet, entre ce qu’est l’œuvre, et les effets sensibles qu’elle produit, et il est question
d’objectiver ce rapport de cause à effet. C’est ici qu’entre en jeu la question méthodologique, voire épistémologique. Car en effet, si telle forme produit tel effet, de manière objective, est-ce à dire que l’art est un métalangage, un langage des formes, et que son décodage objectif peut avoir lieu au cours de l’analyse plastique ?
L’extrême diversité des caractéristiques formelles des œuvres d’art, et l’immense diversité de nos manières de percevoir de façon sensorielle, rend cette objectivation potentiellement suspecte. Toutefois il est possible d’entrer en accord sur une sensibilité commune, et c’est aussi ce que travaille l’analyse plastique, ce partage du sensible : car en effet, pour tous ou presque tous, une composition en oblique ascendante évoquera davantage le dynamisme que le statisme, par exemple. Un dessin sur papier calque évoquera davantage la légèreté, la fragilité, qu’un bois gravé et enduit de bitume. Et pour autant on ne pourra pas réduire le sensible que suscite une œuvre à son analyse plastique.
Signes, signifiants, signifiés
L’analyse plastique a aussi pour objectif de considérer tout ce qui fait signe, tout ce qui fait sens, dans l’oeuvre, afin d’en déployer les significations. L’objectif de l’analyse plastique n’est pas d’épuiser ce sens, ni de le circonscrire de manière restrictive. Elle permet au contraire d’observer et de penser les relations entre tous les signifiants de l’œuvre , afin de mieux la comprendre et surtout afin d’en ouvrir le sens.
Comment analyser l’oeuvre d’art ?
Tout d’abord, les points 1 et 2 ci-dessus (forme sensible et sens) peuvent être abordés dans l’analyse dans l’ordre, dans le désordre, séparément ou imbriqués.
Tout dépend du niveau de l’auteur d’une telle analyse. Il est possible, pour commencer, de compartimenter en abordant d’abord l’analyse du rapport entre formes et effets sensibles, et, ensuite, l’analyse des signifiants. Mais à s’y exercer, on s’aperçoit rapidement que ce cloisonnement est très artificiel et que tous les éléments sont liés entre eux. En acquérant une bonne aisance
rédactionnelle, ou orale (organiser son propos), on pourra ensuite effectuer des allers-retours réguliers entre ces deux champs (sens et sensible).
Analyser les éléments plastiques et leurs relations
L’analyse consistera à aborder plusieurs points dont la nature et l’ordre peuvent varier, mais en général on peut commencer par le medium et la matérialité de l’œuvre : L’œuvre – est-elle grande comme la paume de ma main ou dépasse-t-elle l’envergure de mon corps ? Quel effet cela produit ? Est-ce un papier au blanc acide ou écru ? Quel effet cela produit ? Quelle est la texture du papier ? Puis, dans le cas d’une estampe, par exemple, on peut ensuite analyser l’image et ses composantes : Le trait est-t-il si net et fin qu’il semble comme enfoncé dans le sillon qu’aurait creusé un cutter ou bien est-il un peu épais et flou ? Quelle expression différente cela donne-t-il au trait ? Les noirs tirent-ils sur le bleu ou sur le rouge ? (Il y a des noirs chauds, froids, des noirs charbonneux, laqués… La qualité de l’analyse plastique dépend donc d’une éducation ou au moins d’une acuité particulière à certaines données sensibles, avec précision et finesse). Comment sont
organisés les pleins et les vides, les noirs et les blancs ? Quelle sensation optique, visuelle, cela produit ? Etc.
En général on observera : le medium, le format, la matérialité du support, le mode d’exposition, de présentation, d’accrochage, les incidences propres à l’outil et à la technique utilisée, les formes, les lignes, la qualité du trait, des contrastes, la composition, c’est à dire le placement, la disposition des différents éléments qui constituent l’image, les couleurs, etc.
Concernant l’analyse plastique éclairant le sens de l’œuvre
Le titre est à aborder rapidement dans l’analyse, il peut parfois apporter des éléments très intéressants.
Le contexte historique et culturel, les différents systèmes plastiques et théoriques, dans lesquels une œuvre peut s’inscrire, doivent être identifiés et permettent en général une meilleure approche de l’œuvre. Ainsi l’abstraction n’est pas explorée par les artistes selon les mêmes conceptions dans les années 1920 ou à l’époque contemporaine. D’un point de vue méthodologique en revanche, on peut se demander si un tel savoir est à acquérir avant ou après l’analyse des éléments plastiques. En effet, il ne faudrait pas que la connaissance enferme l’œuvre dans des systèmes, qu’en général elle excède, ne s’y résumant pas strictement.
Il s’agira ensuite de mettre en relation les effets sensibles avec les significations de l’œuvre, parfois il y a convergence, mais parfois divergence. Par exemple, un artiste peut avoir utilisé un fin et délicat cristal pour réaliser…une armure médiévale (Patrick Neu, armure en cristal, acquisition frac – Lorraine 1998). Certaines œuvres ont été conçues pour être décryptées, ayant pour destinataires des amateurs éclairés, c’est le cas de la Nature morte au nautile de 1662 de Willem Kalf ; il faut alors disposer des connaissances précises pour chaque objet représenté. Pour d’autres œuvres figuratives, il y a tant d’éléments figuratifs reconnaissables, que l’interprétation des significations qui se dégagent des nombreuses relations possibles entre ces figures ne peut demeurer que multiple, et c’est cette richesse des pistes de signification qu’il faut veiller à retranscrire et à conserver au cours de l’analyse de l’œuvre ouverte.
Concernant certaines œuvres abstraites, il faudra parfois bien connaître la démarche de l’auteur pour en comprendre le sens, c’est le cas des œuvres de Kasimir Malévitch.
Des artistes ont élaboré un langage qui leur est propre, et pour effectuer l’analyse du sens d’une œuvre de Marcel Duchamp ou de Joseph Beuys, il faut avoir une grande
connaissance des symboliques et des démarches qui leur sont spécifiques.
La broyeuse de chocolat de Marcel Duchamp a un sens bien particulier, de même que l’utilisation du feutre pour Joseph Beuys.
Mais dans d’autres cas il faudra bien se garder de vouloir plaquer des significations car d’autres œuvres se refusent à tout autre sens que simplement les effets sensibles qu’elles produisent. Dans ce cas, le sens, cela peut être que la présence matérielle de l’œuvre, et sa réception sensible se suffisent à elles-mêmes.