Maxime Bondu & Simon Ripoll-Hurier,
The Call

Un alphabet universel – Des tibétains chez IBM – Krishna le Conlanger – 3926 phonèmes sur la Lune – Un calcul long d’un million d’années

En 1888, des linguistes britanniques et français créent l’alphabet phonétique international (IPA), un outil universaliste de notation du langage oral. Augmenté au fil du temps, cet alphabet doit permettre de transcrire phonétiquement n’importe quelle manifestation de parole. Pourrait-il, à l’inverse, devenir une partition ?

En 1953, Arthur C. Clarke publie The Nine Billion Names of God, une nouvelle dans laquelle des moines tibétains tentent de trouver le “véritable nom de Dieu” en combinant avec des ingénieurs d’IBM toutes les possibilités d’agencements de leur alphabet sur une séquence maximum de neuf lettres.

Krishna May est membre de la Language Creation Society. Il développe depuis une dizaine d’années plusieurs langues de son invention. Dans cette perspective, et pour pouvoir chanter dans toutes les langues du monde, il a entraîné son organe phonatoire à prononcer l’essentiel des signes de l’IPA. Combinés entre eux par paires, ceux-ci composent une liste de 3926 phonèmes.

Le 30 avril 2022 à 6:30 UTC, Krishna May prend place au micro d’une puissante station radioamateur suisse (HB9Q en Argovie). Il prononce les 3926 phonèmes en direction de la Lune, qui réfléchit une partie du signal. Des stations ici et là – dont F5JWF sur les flancs du Jura – en captent un écho lointain. Le reste se perd dans l’espace.

Fin mai 2022, l’ingénieur informatique Julien Griffit active un calculateur en forme de blockchain qui commence à combiner, sans mémoire et pour un temps indéterminé, les 150 caractères principaux de l’IPA sur une séquence de lettres grandissante. Les mots de une à quatre lettres sont calculés en moins de dix minutes, ceux à cinq lettres en moins de vingt quatre heures. Le calcul des mots à six lettres s’étalera sur plus de quatre mois. Si l’on suppose une vitesse de calcul constante, l’épuisement des mots à sept lettres prendra une cinquantaine d’années, à huit lettres environ huit millénaires, et à neuf lettres plus d’un million d’années.

Maxime Bondu, Simon Ripoll-Hurier

   Riches de ces recherches linguistiques et algorithmiques, Maxime Bondu et Simon Ripoll-Hurier dévoilent, à l’occasion de La Fabrique du Nous #1: Des voix traversées, The Call, initié au début 2019 lors des recherches expérimentales Uncertainty Scenarios menées par Enough Room for Space.

Scindé géographiquement et thématiquement, The Call se compose d’une installation filmique et plastique présentée à l’IAC plus, à URDLA, un dispositif sonore qu’accompagnent une projection et des éléments graphiques. Une liste de 3926 phonèmes, composés à partir de 12 caractères de l’alphabet phonétique international, propose un abord des possibilités vocales de l’être humain, mais aussi de l’étendue de la vocalisation des langues dans le monde. Krishna, qui possède les facultés physiologiques nécessaires pour prononcer chacun de ces phonèmes est filmé, le signal sonore est envoyé en direction de la lune. Des antennes radio, sur terre, reçoivent le rebond des ondes sur l’astre et les enregistrent.

Le dispositif protéiforme de Maxime Bondu et Simon Ripoll-Hurier articule à la philosophie, à la linguistique et à la mystique une expérience du corps et de l’entendement.

Maxime Bondu est né en 1985 à Sergy (France)
vit et travaille à Genève (Suisse)

Maxime Bondu, diplômé de l’École Supérieure d’Art de Brest en 2009, est un artiste qui aborde de nombreux thèmes à travers la relation entre temps, espace et politique. Il s’est notamment intéressé à la conquête de l’espace, aux idéologies du progrès, à la possibilité d’une apocalypse nucléaire mais aussi aux androïdes et à la biotechnologie. Son travail a notamment été exposé à Rosa Brux (Bruxelles, Belgique) en 2013, au MAMAC Nice (France) en 2014 ainsi qu’à la Halle Nord de Genève (Suisse) en 2015. Plus récemment, il a présenté Soleil vert, lune bleue, pluie rouge au Centre d’Art Bastille de Grenoble (2018).

Simon Ripoll-Hurier est né en 1985 à Mont Saint-Aignan (France)
vit et travaille à Paris (France)

Simon Ripoll-Hurier est quant à lui diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, de Rouen ainsi que d’un Master en arts et politiques à Sciences Po Paris. Entre musique et arts visuels, son travail s’inscrit dans une pratique de l’écoute et de la transmission par la voix. Il est le co-fondateur de *DUUU, une radio en ligne dédiée à la création contemporaine. Son travail a notamment été présenté au Musée des Beaux-Arts de Rouen en 2009, au Centre Pompidou-Metz en 2010 ainsi qu’à la Fabrique des arts de Carcassonne et au FID Marseille en 2017. Plus récemment, ses films ont été présentés lors du Cinéma du Réel au Centre Pompidou Paris en 2020 et aux Rencontres internationales Paris/Berlin en 2021.