1 – Si nous admettons que la révolution numérique que nous vivons actuellement produira (et a déjà commencé à produire) des bouleversements – sociaux, économiques, comportementaux – aussi importants que ceux provoqués par les révolutions industrielles ;
2 – Si l’actuelle pandémie, en raison des moyens technologiques employés afin d’amoindrir les répercutions économiques causées par les mesures sanitaires, devait non seulement confirmer, mais accélérer la bascule de notre monde dans un univers où les technologies numériques deviennent de plus en plus envahissantes et, conséquemment, accroissent leur influence prothétique et notre dépendance ;
3 – Alors pourrions-nous envisager que devienne urgent de sortir au plus vite l’être humain d’une partie des boucles de production (que la trop fragile santé de notre espèce, à la merci de confinements et de convalescences, met en péril), pour le remplacer au plus vite par des machines dites « intelligentes » et surtout beaucoup plus efficientes.
4 – Aussi, certains secteurs, déjà fortement technologisé, semblent désigner à subir une robotisation accrue : transports, agronomie, nucléaire, industries militaires, médicales, etc.
5 – Se posera alors la question de « réguler » ce trop plein d’êtres humains rendus professionnellement inactifs. L’Histoire nous ayant démontré qu’en ce domaine, l’inventivité humaine est féconde.
6 – Mais nous savons aussi qu’à trop vouloir jouer au démiurge, l’être humain voit toujours, un moment ou un autre, ses volontés ascensionnelles freinées sinon stoppées ;
7 – Et puisque l’observation d’une histoire des techniques et des technologies nous raconte au moins ceci : qu’entre elles et nous, les distances s’abolissent jusqu’à nous voir fusionner ; ainsi, au gré des récentes évolutions technologiques, nous sommes nous habitués à vivre dans un monde d’interconnexions généralisées, de géolocalisation, de vidéosurveillance, d’immenses bases de données, de biométrie, de puces RFID et de nanotechnologies, qui nous accompagnent via différents outils (Internet, GPS, cartes de transport, ordinateurs, smartphones, montres et frigos connectés, etc.) qui emmagasinent de conséquentes masses de nos données personnelles ;
8 – Et déjà pouvons-nous intégrer à nos organismes des machines permettant de palier certaines lacunes physiologiques (pacemakers connectés, appareils auditifs connectés, etc.) ;
9 – Des machines qui, pour être toujours plus opérationnelles, réagissent en vertu des signaux que leur transmet le corps qui les héberge – leur hôte –, signaux qui, une fois collectés et interprétés, iront s’agréger aux restes des données que nos modes d’existences interconnectés accumulent (par le traçage des lieux fréquentés, des déplacements opérés, des sites visités – réels ou virtuels –, des horaires qui rythment nos vies, de l’appartenance sociale de nos fréquentations – familiales, amicales, professionnelles, religieuses, etc. –, de nos consommations d’énergie, etc.), pour nous fabriquer un profil à la fois médical, social, comportemental et psychologique ; une masse de données permettant aux annonceurs publicitaires de cibler les consommateurs, offrant aux compagnies d’assurance la possibilité de moduler leur niveau de couverture sociale en fonction de l’état de santé, des habitus de vie et des perspectives socio-professionnelles des assurés, permettant aux banques d’estimer la « fiabilité » d’un client, etc.
10 – Sachant que de premières concrétisations scientifiques permettent de loger des nano-puces dans nos organismes pour mieux leur permettre de se défendre contre des agressions biologiques externes ou des altérations internes ;
11 – Que, pour agir convenablement, ces nano-puces doivent, elles aussi, collecter d’impressionnantes quantités de données produites par nos organismes et ainsi pouvoir mieux nous « augmenter » ;
12 – Que ces technologies sont numériques et donc assujetties aux règles algorithmiques et à leurs modes de transports d’informations ;
13 – Que parmi ces informations transportées, il est possible que s’immisce, par accident ou volontairement, un virus informatique ;
14 – Qu’ainsi, ce virus aura la possibilité d’agir sur un organisme humain – dont la bonne santé est précisément régulée par les technologies informatiques susceptibles d’être infectées par le dit virus :
15 – Alors y aura-t-il une compatibilité, quant aux effets produits sur un organisme humain, entre virus biologiques et informatiques, lesquels auront réussi le parfait accouplement.
16 – La Moralité de cette histoire est présente en de nombreux mythes, en de nombreux contes, de nombreux récits historiques : Pandore, Prométhée, Babel, Dédale, Frankenstein… et ces contes et ces mythes et ces récits historiques témoignent d’une bienveillance de nos aïeux qui, depuis des siècles préviennent leurs descendances des menaces qui les guettent et semblent toujours dire qu’au fond, il n’y a que peu d’histoires – quelques variations tout au plus – et, toujours, la fin de l’histoire, nous la connaissions.
17 – Alors me revient en mémoire ce récit conté par un anthropologue spécialisé dans les sociétés précolombiennes qui expliquait que, lors de fouilles accomplies sur un site Aztèque, des jouets en forme de roue avaient été trouvés. Découverte d’autant plus surprenante que tous les spécialistes de cette lointaine civilisation s’accordaient pour dire que la roue ne figurait pas à la liste des outils utilisés par les Aztèques. L’explication retenue fut la suivante : puisqu’ils savaient faire des roues à échelles réduites, ils étaient techniquement capables d’en réaliser de plus grandes, mais leur société, largement composée d’une main d’oeuvre faite de porteurs (en raison, entre autres, des territoires vallonnés sur lesquels elle vivait), n’aurait pas survécu à l’intronisation d’un outil dont les propriétés physiques allaient réduire le besoin de travailleurs. En d’autres termes, utiliser la roue revenait à mettre en péril le métier de porteurs. Et plus rien n’allait justifier qu’à ceux exerçant ce métier soit octroyé un salaire. Sans salaire, ils auraient été à la merci d’une pauvreté qui les aurait conduits à la famine, puis à la révolte. Les Aztèques, pourtant tellement avancés techniquement et si ingénieux, auront préféré renoncer – et peut-être était-ce là un des signes de leur ingéniosité – à une des plus extraordinaires inventions de toute l’Histoire de l’Humanité afin de préserver leur civilisation.
18 – Oui, mais voilà, pour que pareille sagesse assure effectivement la pérennité d’une civilisation, il y faut une condition : que toutes autres civilisations acceptent elles aussi de freiner leur rapport au progrès et ne pas tirer profit d’avantages techniques susceptibles de leur permettre une prise de pouvoir sur des peuples techniquement plus en retrait.
19 – Les sociétés précolombiennes ont fini par disparaitre et l’usage de la roue s’est banalisé.
20 – Les Romains, qui n’avaient pas renoncé à la roue, avaient eux aussi fait le choix de rationaliser la mécanisation de leur environnement, mais, pour que soient réalisés les prodiges urbanistiques et architecturaux de l’Empire, devaient-ils avoir recours à une conséquente manne d’esclaves.
21 – Les révolutions industrielles ont fabriqué un nouveau type d’esclaves : les machines.
22 – L’esclavage des Hommes n’a pas disparu pour autant : il a changé de nom.
23 – Qu’il s’agisse d’un « aller vers », d’une « course », d’une « fuite », d’un « espoir »… le devenir de notre espèce la conduit à cohabiter avec les techniques et technologies qu’elle crée, et cela est inéluctable.
24 – Et maintenant…
24 – Et demain…
La Courte Échelle
Bulletin URDLA par gros temps
La Courte Échelle
Bulletin URDLA par gros temps
Pendant la durée du confinement, 2020.
Une règle, empruntée à Barthes : « Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire. Cette preuve existe : c’est l’écriture. L’écriture est ceci : la science des jouissances du langage, son Kamasutra (de cette science, il n’y a qu’un traité : l’écriture-même). » Les plasticiens savent que leur pratique est aussi celle de l’écriture.
Ainsi se dessine la Société des gens URDLA.