DURGENCE LAMOUR de Maïté Marra se déploie en écho de la performance ambiguë de Cary Grant dans North by Northwest (La Mort aux trousses) d’Alfred Hitchcock. Au fil de sa filmographie, Cary Grant joue Cary Grant : reconnaissable par sa vesture, par les cigarettes qu’il fume et dont il va chercher le feu chez ses partenaires de jeu, souvent des femmes. Souvent ça match. Pourtant dans North by Northwest il est pourvu de l’instrument : une boîte d’allumettes aux initiales de son personnage, ROT, Roger Thornill, auquel s’ajoute ce o-trou, « O for nothing. » Roger Thornill, qui tente d’échapper à des bandits le prenant pour un nommé George Kaplan, rencontre dans un train une beauté brûlante, Eve Kendall (Eva Marie Saint). Entre Cary‑Roger-George et Eve ça s’enflamme immédiatement dans un jeu de dupe ; Eve étant une sorte d’agent double à la solde des ravisseurs de Roger… Ça match sur le ratage : chacun croyant avoir à faire à un autre. La boite d’allumettes qui fige l’éclat de leur rencontre, plus tard sauvera Eve Kendall d’une mort certaine.
Morsures et creux
DURGENCE LAMOUR joue la fragmentation des images par la dissection d’éléments : la boite d’allumettes, les allumettes, le rougeoiement de la flamme et la fumée qui fait écran (qui masque le réel). Chaque élément est à lire au pied de la lettre, à la tombée du sens et tout à la fois dans la puissance de ses possibilités métaphoriques et dans son glissement métonymique. Maïté Marra craque ses allumettes à la surface du cuivre, de l’encre, de la feuille mouillée. Pour que ça match, le taille-doucier sait qu’il faut que le papier soit amoureux que d’un baiser il éprouve la plaque.
Maïté Marra s’empare de la technique de l’estampe la plus manuelle, la plus tactile : la gravure en creux est dite « douce ». Pourtant, dans la pratique de l’eau-forte c’est la morsure du cuivre par l’acide qui révèle le motif.
En rehaussant au doigt DURGENCE LAMOUR – poudre avec de l’aker fassi, Maïté Marra déjoue le multiple et induit par la sensualité tactile l’unicité.
DURGENCE LAMOUR – rot, eau-forte imprimée en taille d’épargne, rebat les cartes du blanc et du noir, de la lumière et de la nuit, lumière qui permet au film d’apparaître sur l’écran.
Unicité d’images imprimées
Il faut entendre la sagesse du proverbe béninois : « le savoir c’est comme le feu, ça va se chercher chez l’autre. » Il est question d’un détour pour atteindre ce qui fait le noyau du heim (le feu et le savoir). Le noyau du plus proche, du plus intime s’acquiert par ce chemin.
Ajoutons que le savoir brûle comme le feu, qu’à s’approcher trop de l’Autre, c’est le désir qui brûle.
Maïté Marra réalise un ensemble monumental de monotypes pour lesquels elle a utilisé le pétrole, offrant au regardeur l’expérience d’un écran de fumée. En effleurant la surface de la presse enduite d’encre et de produits inflammables, Maïté Marra a produit une série d’images uniques. La matrice disparaît à l’impression, le geste se fait et s’imprime en une trace. L’écran dissipe les identités et en recrée. Abrasifs, les neuf monotypes sèment le trouble.
Ainsi la proposition de Maïté Marra réunit par contamination des motifs et des noms : le feu, la lumière qui révèle et aveugle, le corps dans sa présence réelle de tube, et l’identité, celle que confère la nomination au cœur même du film d’Alfred Hitchcock, mais aussi l’identité sexuée avec laquelle Archibald Alexander Leach a joué dans une société puritaine.
L’urgence tressée à l’amour est au fondement de North by Northwest : les deux amants fuient un pied d’avance sur la mort.