L’URDLA révère depuis toujours la complexité polyrythmique du temps qui marche. Si nous avons joué si résolu- ment son jeu en attendant que crépite l’image poétique surgissant, c’est bien que, nous refusant à faire la part des choses, nous n’avons cessé d’espérer que la fertilité des images produites donnerait une chance plus ample au désir, à la liberté.
En trente ans de suite dans les idées, un monde de mondes s’est amassé, tant sur les rayons, dans les cadres, les cartons, que dans notre mémoire active. Le seul témoignage que le responsable puisse invoquer à sa décharge est celui de sa conscience. Le stock d’estampes de l’URDLA, silo de l’imagination, conserve, atteste et diffuse les figures tournoyantes de l’utopie, de génération en génération ; non seulement il faut l’enrichir sans relâche, mais encore on doit y puiser comme dans une réserve conceptuelle. Toute grande collection publique ou privée joue peu ou prou ce rôle mais le privilège de l’URDLA reste de s’ingérer dans sa texture par la mise en œuvre d’estampes en genèse.
Lorsque nous élaborons le programme annuel d’expositions, c’est encore d’images qu’il s’agit, et quand je dis «images» on n’en est pas tant aux feuilles de papier imprimées qu’à leur matérialisation lourde sur des supports rigides, dans des cadres sur des murs ou des chevalets dans un lieu spécifique, conforme aux exigences de la présentation et, malgré tout, encore proche des presses et autres outils qui les ont aidées à naître. Il est bien temps, après une centaine d’expositions, de ne plus occulter pudiquement une logique délibérée quoique discrète dans l’enchaînement de nos manifestations. Tandis que le « contemporanéisme » évacuait toute cohérence jugée démodée au profit de la déconstruction du sujet et de la désintégration en myriade d’éclats de la représentation du monde et de ses reflets imaginaires.
Non qu’il faille s’en remettre, aujourd’hui encore, à quelque orthodoxie: en évoquant sempiternellement la prégnante chronologie nous n’en avons pas moins usé de divers cribles. Parmi les membres de la fraternité des centaines d’artistes qui se sont penchés successivement dans nos ateliers sur le calcaire velouté des pierres lithographiques, les fibres entrelacées des planches de bois ou les miroirs chatoyants des plaques de cuivre, on peut, sans mal, écrémer nombre de peintres-philosophes pour qui la matérialité des accessoires, les contraintes techniques, les aléas des échanges avec les praticiens ne contrarient que bien légèrement la mélancolie expérimentale de leur pensée et de ses gestes.
Ces peintres, au rang desquels je situerais en bonne place Philippe Deléglise, s’expriment poétiquement dans un exposé muet, interpellant l’intelligence par le plaisir de la vue. De même que je revendique ici la logique de nos choix, de même Philippe Deléglise, me semble-t-il, est conduit par une impeccable logique graphique ; la physique moderne a aboli la distinction entre matière et force puisque tout champ de force contient de l’énergie. Fort de cette unité essentielle, il peut se moquer des inconséquences d’une époque exaltant le n’importe-quoi.
Je souligne que Philippe est de toute évidence un artiste dont nous admirons le talent rigoureux mais aussi un explorateur dont la préoccupation participe durablement de notre aventure commune : relier d’un fil unique les visions géométriques de Giordano Bruno (on sait comment cela finit !) – qu’il dessine dans Articuli centrum (Prague, 1588) et qui constate que « l’ordre d’une figure particulière et l’harmonie d’un nombre particulier suscitent tout ce qui est » (De la Monade, 1591) –, les spéculations théoriques de Descartes sur les tourbillons, les conjectures inspirées d’Ernst Chladni (1756-1827) qui ont provoqué la suite spectaculaire de gravures de Deléglise après avoir ému Novalis dès avant le XIXe siècle et arriver, plus près de nous, aux tentatives incomprises de James Joyce dans Finnegans Wake.
Puissent nos amis, en découvrant l’œuvre de Philippe Deléglise, jouir de cet engagement joyeux et sévère, refus du renoncement, pari sur l’utopie des solutions imaginaires.
Max Schoendorff
URDLA
Samedi 21 avril 2007 de 14h30 à 18h30