Peintre, sculpteur, cinéaste, performer et producteur d’estampes, son activité artistique protéiforme se développe autour du noyau que constitue l’action comme occupation de l’espace, irruption de l’espace privé dans l’espace public, prise de position.
Au milieu des années 60, il place la couleur, appliquée sur de minces supports de métal découpés et pliés, directement dans l’espace. Il est reconnu pour faire partie d’une nouvelle génération de la sculpture anglaise (Kunsthalle Bern, 1967) mais, à Paris, il se lie d’amitié avec Robert Filliou et Daniel Spoerri. Par eux il rencontre l’esprit Fluxus : son esthétique estampillée « clean-british » subit une première attaque.
Dans un entretien du 14 février 1999 avec Renate Bushman (in Between 1969-73, Kunsthalle Düsseldorf, 2007), il évoque la réalisation de Seven Hung Yellow, des toiles de fibre de verre trempées dans de la résine teintée et suspendues dans l’espace (gal. Indica, Londres, 1967) : « au lieu de faire les pièces et ensuite de les montrer, je décidai de travailler devant un public invité » […]. Et, plus loin : « J’étais intéressé au processus, ce qui m’amena en fin de compte à la performance, [ … ] soudain le faire te force à réaliser que ton corps est mis en action par le matériau (et vice-versa) ». Sa participation aux expositions Intermedia (Klaus Staek, Heidelberg, 1969) et Strategy : Get Arts (Richard di Marco, Edinbugh, 1970) entérinent ce passage.
Dès lors, Tony Morgan va glisser régulièrement d’un médium à l’autre, voire, à l’intérieur d’un même médium, d’une approche à une autre, sans tenir compte des spécificités ou des catégories. Mais il va s’attacher aux occasions que lui offrent les qualités expressives des matériaux qu’il manipule avec l’intention de rendre compte « de phénomènes simples, d’événements quotidiens ou d’actes recouvrant des significations plus profondes » (T. M. « Plat du jour », in Mais qui diable est donc Herman ? Genève, 2003).
Dans son entretien avec Renate Bushman, cité plus haut, il explique : « Chaque médium a ses propres capacités. Le film Black Corner est un bon exemple : un film structurel qui ne peut être projeté que dans un coin. J’ai peint ce coin d’abord en noir, puis en blanc, ce qui revenait à peindre la lumière surgissant de l’obscurité. Cela avait un rapport tant avec la peinture qu’avec la sculpture mais je questionnais ainsi un nouveau champ. »
Avec De quel côté souffle le vent, dans les trois versions éditées par l’URDLA en 2001, Tony Morgan rejoue différemment cette même partition.
Tout au début des années 90, il a produit plusieurs séries de dessins, de monotypes et de peintures abstraites rappelant le dispositif du film Black Corner. Il s’agit de grilles plus ou moins orthogonales, d’ensembles de traces plus ou moins denses qui attaquent la surface. Le geste, improvisé, appartient en propre à la performance, donc, comme le film, au temps.
Plus tard, ces éléments structuraux se transformèrent en écriture ; commence alors une ultime série de peintures et d’estampes « à textes ». Nous retrouvons dans les estampes de l’URDLA cette occupation invasive de l’espace, un dessin de la lettre qui accentue la grille, et une expression de la matière qui transcende le texte. Le travail par couches et le mélange des techniques apportent à l’image des qualités plastiques qui jouent avec le texte comme un contrepouvoir, situant ces estampes entre le texte et l’image comme le dispositif de Black Corner tirait le cinéma vers la sculpture et la peinture (« et vice versa »).
Philippe Deléglise