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« Souffrir mille morts », « Fondre en larmes »

Annie Zadek
Deuxième édition de ce texte paru en 2004 URDLA, collection {{Fil à  plomb}}, n° 10 (épuisé) 76 pages « Après {Le Cuisinier de Warburton}, mon premier livre paru en 1979 qui cherchait à  approcher la constitution de l'être écrivain (Jakob Lenz et... moi
ref. ISBN 978-2-914839-32-7
  • Année : 2009
  • Documents : Facture et certificat d’authenticité

valeur : 11.– €

Expédition dans la semaine

cadre non fourni

Annie Zadek

La phrase qui court, pourtant amputée d’elle-même, comme une douleur au membre fantôme ; un précipité de questions, on dira : nécessaires et urgentes. Une sorte de monologue, ou soliloque, vivant, toujours vivant, avec de ces arrêts, ruptures, ellipses et éclipses de sens, mille et un instants saisis sur la langue et autant de silences qui vont avec.

Ce n’est pas exactement du théâtre, pas encore du roman, déjà plus de la poésie. Mais quoi alors ? Des textes, tout simplement, de ceux qui n’ont pas besoin de genres, mais juste des gens : qui les lisent, les écoutent, les entendent. Manière de s’adresser. Manière d’asséner.

« Chaque livre, et chaque titre de livre, donne – aussi – des nouvelles de son auteur, dit quelque chose de lui, du monde et de l’histoire. »* De fait, depuis Le Cuisinier de Warburton, paru en 1979, Annie Zadek explore le fond de soi avec la forme des mots. Fait entendre le tréfonds de son être par l’entremise de la lettre. Ses phrases coupées-coupantes sont autant de fragiles esquifs échappés d’un long et douloureux récit, récif faudrait-il dire. Comme le témoignage possible-impossible de ce qui passe, se passe, entre l’œuvre et la vie. Entre les mots et les morts.

Faut-il préciser qu’Annie Zadek (re)vient de nulle part, ou presque, séparée qu’elle fut de son histoire par l’Histoire, celle-là même que Perec écrivait avec une grande hache ? Parents juifs contraints de quitter la Pologne natale. Grands-parents assassinés dans les camions à gaz. 

Annie Zadek, comme nombre d’écrivains de sa génération, a dû remplir le vide en dedans de sa vie, inventer des stratégies d’écriture, des dispositifs et des structures, des jeux – je – de construction autant pour marquer que pour masquer la perte de l’origine.   

Souffrir mille morts, Fondre en larmes, sorti des presses de l’URDLA en 2003, est, de ce point de vue, un livre exemplaire. De quoi s’agit-il ? D’une tentative d’épuisement d’un fait historique en même temps que d’une purge de l’Événement par la langue. Catharsis et parataxe.

De fait, l’autrice est allée chercher dans la somme de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, les mots tabous et elle les a mis bout à bout. Elle a prélevé, recopié, exposé l’essence même du livre :    

« Souffrir mille morts » (28) « Fondre en larmes » (28)

« Définition » « tuerie »

« Émigration » « tueurs »

« Expropriation » « tuerie »

« Émigration » « tuerie »**

« Concentration »

« Déportations »

« Annihilation »

Souffrir mille morts, Fondre en larmes est un monument aux mots, mais aussi et surtout un monument au monument de Raul Hilberg, une manière de lui rendre justice : « Loin des “Plus jamais ça !”, “Indicible !”, des “Innommable !”, des “Irreprésentable !”, ce livre nomma tout, représenta, dit tout – dans une langue à l’exactitude splendide – me rendant la faculté d’admirer, me restituant cette grâce de l’admiration, moteur nécessaire à mon propre désir d’écrire. »*

Le reste est littérature, ou alors formes apparues/disparues dans le fond d’un ciel immuable, comme cette photographie d’Yves Rozet qui « illustre » le livre devenu poème d’Annie Zadek. Pour l’éternité.

Roger-Yves Roche

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