L’artiste les appelle ses boules ou ses bulles (parfois de façon redondante ses « bulles bullées »), bulles de bandes dessinées, mais muettes, bulles du poisson qui défie le pêcheur, phylactères médiévaux vides, surprenants halos. Tantôt ces vessies s’ouvrent, éclatent, mais en une explosion discrète. Tantôt, demeurées closes, elles mutent lentement en natures mortes, se métamorphosent en crânes, ou en heaumes… de chevalier ! Son geste tire du néant une « peinture soufflée ». Ce geste consiste à jeter du pigment, soit horizontalement, à partir d’une assiette, ou avec un pinceau à poil dur (masculin), soit en aspergeant la toile d’un jet vertical : plaf, plaf, plaf ! à la façon d’un plâtrier, ou de façon aérienne, avec un pulvérisateur (féminin). « Il n’y a plus de main ! » provoque le peintre. Pas de nuances, mais uniquement des couleurs vives, témoignages d’une pulsion de vie.
Le mouvement dont Jean-Marc Chevallier se rapproche le plus serait, il le confirme, le courant Support-Surface, et le peintre avec lequel on trouverait une parenté serait Claude Viallat, car ils partagent une rupture avec le système de représentation, avec l’imaginaire, au profit de la pure matière, les bulles de Chevallier dialoguant avec les « haricots » de Viallat. Jean-Marc Chevallier entreprend de repenser la matière, mais à sa manière, légère et floue, sans jamais céder à la tentation du tissage ou de l’entrelacs. Peintre liquide, il leur préfère la goutte, ou le flux, la coulure : pas des coulures généreuses comme chez Cremonini ou Sam Francis, mais le plus souvent des écoulements fluides et fins comme des fils, plus rarement des coulures épaisses formant une muraille ou un rideau. Il instaure une géologie inédite grâce à ces lignes découpant, parfois sur fond de cartes géographiques, des paysages mentaux où palpitent des boyaux qui se vident ou s’emplissent.
La peinture de JMC constitue un travail sur le temps, sur la genèse. L’artiste joue parfois à prendre ses vessies pour des lanternes, cernant ses formes de contours lumineux, de néons entourant des non-lieux, des plages vides abandonnées à l’errance, déconstruisant ainsi toute représentation. Cette peinture « trouée » n’exclut pas tout flamboiement. Y scintille la dimension érotique. Le désir joue à cache-cache dans les intervalles. Mais ce jeu a quelque chose d’enfantin, nous rappelant que le premier succès pour JMC (une victoire à un concours) a eu lieu à l’âge de six ans et demi, inaugurant son destin d’artiste tout en pérennisant son droit à l’enfance. N’est-ce pas encore un jeu d’enfant quand Jean-Marc Chevallier signe ses œuvres, mais derrière la toile, et de droite à gauche ? Comble de transgression, il signe avant de commencer à peindre, puis recouvre sa signature qui devient une tache au dos de la toile imbibée de couleur, qui la boit comme une serpillière.
Jean-Marc Chevallier a réalisé à l’URDLA deux séries de lithographies : en 1983 et en 1985. En 1983, huit lithographies en trois ou quatre couleurs réalisées sur des cartes IGN.(Mar-i-e-N-o-elle I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII), dont quatre (I, III, IV et V) sont épuisées.
En 1985, toujours à l’URDLA, il a conçu deux « marelles », grandes lithographies en quatre couleurs réalisées sur des cartes d’état-major, dont l’une est épuisée : Marelle-paysage de Condrieu au serpent d’eau, l’autre s’intitulant Marelle-paysage de La Voulte à l’hippocampe. Les cartes qu’il superpose ainsi aux cartes préexistantes apparaissent, selon le mot de son ami Jacques Demarcq, comme autant de « plans de vol ».
Odile Schoendorff