Lucie Chaumont ne crève pas l’écran, elle le révèle avec pour instrument la tautologie : montrer – c’est-à-dire désigner par l’image, puis répéter. Mais le processus n’implique pas l’immobilité parce que au moment du dit à nouveau un déplacement s’opère. On entend déjà que le point de repère est le réel ; ce qui doit se mouvoir, ce sont les yeux du corps et ceux de l’esprit. Et le re-dire se traduit par un re-faire : la série de dessins « Files d’attente », à l’échelle un et découpés selon les formes des tickets d’attente, accidente les nécessités de régulation des flux pour la société de consommation et le non-sens du fait à la main d’un instrument que seule la production de masse commande. Le fait main implique le un par un, la singularité, la signature, autant d’éléments qui s’évanouissent dans la masse du tout industriel et globalisant. Ce sont ces points de rencontre de la singularité avec la nécessité pour l’industrie de rationaliser et de traiter en masse, d’anéantir les foyers isolés d’initiatives personnelles (Artaud) que cerne Lucie Chaumont.
Mais il ne s’agit pas de mettre sur le devant un geste cosa mentale – nous serions dès lors dans la logique du ready-made assisté. L’art est pris dans sa signification archaïque : technique et savoir-faire restent du côté de l’artiste.
Aussi n’est-il pas question d’un travail de faussaire mais de celui d’un copiste. Répétition d’un pareil, qui se refuse à être un même, l’art de la copie se soutient de cette tension (minimale ?) de la métaphore : refaire, sans que la trace subjective de l’artiste-artisan s’évanouisse dans l’industrialisation. Les déplacements et les écarts s’entremêlent avec une grande subtilité. « Extraction fossile », co-produite par l’URDLA et la galerie Eva Hober (2014), se compose de deux éléments : une lithographie, c’est-à-dire un dessin fait sur une pierre, puis imprimé – historiquement l’invention de la lithographie ouvre la porte à l’impression industrielle. Le motif (une carrière d’extraction) se place en contre en contre-point d’une pierre lithographique dessinée (extraite du stock de l’URDLA, mais non imprimée) qui laisse apparaître ce qu’elle pourrait contenir : la trace d’un déchet végétal – un fossile. Origine et fin se confondent, l’outil (la pierre) désigne son propre usage : être le support d’une trace.
Pour parvenir à cette subtile subversion du procédé lithographie (la technique et l’histoire du procédé) et de l’éthique de l’URDLA, qui est vouée au multiple mais n’avait jamais auparavant participé à la réalisation d’une pièce unique, il fallait à Lucie Chaumont connaître l’association de l’intérieur. Lors de sa première résidence à l’URDLA, en 2011, elle avait réalisé trois lithographies prolongeant le geste du crayonné pour lequel elle avait marqué son grand intérêt dans des dessins précédents.
La « pratique plastique » de Lucie Chaumont n’est pas dissociable de son engagement dans la cité. En 2009, avec Nadine Alibert, elles fondent La perruque-coopérative, association loi 1901 qui produit et diffuse des créations artistiques et des outils pédagogiques au croisement des arts plastiques et graphiques et de l’art vivant. C’est donc sur le fil de l’évidence qu’elle entre en 2011 au conseil d’administration de l’URDLA auquel elle participe activement depuis.
Cyrille Noirjean