Il a, sur la montagne magique, eu des amis tels que Roger Tailleur, Marcel Marnat, Michel Pérez avec qui il a animé une petite revue ronéotypée de cinéma, Séquences. En khâgne, il avait déjà, avec Pierre Vidal-Naquet, Jean-François Lyotard, Charles Malamoud et Pierre Nora, écrit dans une revue « locale », Imprudence.
Bernard Chardère, de passage sur l’alpe, l’a invité, avec Roger Tailleur, à écrire dans le tout jeune Positif. Ainsi a commencé une longue « carrière », où il a écrit régulièrement sur les films, dans Positif, dont il sera un temps secrétaire de rédaction, et aussi dans Cinéma…, Les Lettres nouvelles, Les Nouvelles littéraires, Les Cahiers du cinéma, Théâtre/Public, La Quinzaine littéraire, Trafic. Il lui est aussi arrivé d’écrire sur l’art. Il a également collaboré à diverses publications, catalogues d’exposition, recueils collectifs. Il a publié : Une critique dispersée (1976) « Aux distraitement désespérés que nous sommes » (1991), L’Espace du cinéma (1999). Il a également écrit un livre sur la peinture de Max Schoendorff. »
Ce texte, établi par Louis Seguin en avril 1999, et soigneusement archivé par Marie-Claude Schoendorff, est resté inédit. Il avait vraisemblablement été écrit pour la « prière d’insérer » de son livre sur Max Schoendorff , achevé le 31 juillet 1996, mais publié en février 2008, quelques semaines après la mort de son auteur, aux éditions La fosse aux ours. L’essentiel y est dit. Je me contenterai ici d’ajouter quelques précisions et de citer ceux qui avaient su parler de lui.
Son camarade de classe Pierre Vidal-Naquet a écrit dans ses Mémoires : « Il détonnait dans ce milieu par sa bonté. » C’est loin d’être banal.
La signature de Louis Seguin apparaît pour la première fois en 1954 dans le numéro 10 de Positif, à côté de celles de ses amis Roger Tailleur et Ado Kyrou. « Dans les mois qui suivirent Seguin allait avoir une importance déterminante dans le développement de Positif », écrit Édouard Waintrop à sa mort. « Homme de gauche, agacé par la posture des nouveaux hussards des Cahiers du cinéma, il devint le pourfendeur de leurs leaders devenus cinéastes et savait à ce propos trouver la formule qui fait mal. Il exerça ce talent un temps à l’encontre de Jean-Luc Godard (« À bout de souffle piège à cons ! ») avant de changer d’attitude à son égard (comme Freddy Buache, d’ailleurs) en mai 68. Après 1968, il s’était rapproché de Jean-Luc Godard. » Il jouera même dans un de ses films.
Proche des surréalistes parisiens, et surtout des « cinéphiles » de l’Âge du cinéma, Ado Kyrou, Robert Benayoun , Georges Goldfayn et Gérard Legrand, il avait été, comme certains d’entre eux, signataire du Manifeste des 121. « Je nous revois ensemble avec Antelme et Mascolo », se souvient Maurice Nadeau, autre « 121 », dans son Adieu à Louis Seguin publié dans La Quinzaine. « Je lui ai demandé d’écrire pour Les Lettres nouvelles, revue que je dirigeais alors. Il partagea cette fonction de critique de cinéma avec ses amis Robert Benayoun ou Roger Tailleur […]. Il quitta Positif en 1975 alors que depuis décembre 1970 il tenait notre chronique cinéma dans La Quinzaine. » En 1976, il réunit en volume quelques-unes de ces chroniques sous le titre Une critique dispersée (en 10/18). « La critique, si elle veut échapper au “ reportage professionnel sur les spectacles “ et à la “ collection de bruits culinaires primitifs “ (Brecht) vers lesquels tout un système la refoule malgré elle, doit être inconsommable : immangeable et indigeste… Seule une telle pratique, déshonnête, peut montrer, par-delà la reconnaissance des figures, les dos et le biseau : la convention », revendique-t-il assez hautement dans sa préface. « Louis Seguin était un critique radical, mais sa radicalité était fondée sur une très grande culture, philosophique, picturale, psychanalytique. Ses articles étaient toujours précis, pointilleux, complexes », ont écrit Paul-Louis Thirard et Bernard Cohn dans leur hommage de Positif. Le cinéma était loin d’être sa seule préoccupation. « Il s’y mêle aussi, à l’occasion, de la peinture et de la philosophie », a écrit, trop modestement, ce cinéphile exigeant, admirateur de Murnau et de Lang, et d’autres cinéastes que l’on ne met pas si souvent à leur niveau. Dans L’Espace du cinéma (hors- champ, hors- d’œuvre, hors- jeu, Ombres, 1999), sa remarquable analyse du concept du hors-champ à partir du Crime de monsieur Lange de Jean Renoir et de Fenêtre sur cour d’Hitchcock est nourrie, en profondeur par sa connaissance de la philosophie et de la peinture. C’est dans la continuité de sa réflexion sur eux qu’il peut se projeter « au-delà » : « Filmer les corps et les choses, c’est aussi filmer les vides : Au point que l’on pourrait avancer que l’on reconnaît les grands metteurs en scène à ce qu’ils savent filmer les vides : Ernst Lubitsch est un grand metteur en scène, pas Frank Capra, Jacques Tourneur aussi, pas André de Toth. »
Avant L’Espace du cinéma il avait publié en 1991 (chez le même éditeur, Ombres) Aux distraitement désespérés que nous sommes… sur les films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, qui l’avaient fort occupé dans ses chroniques. Il reviendra sur eux en 2007 dans un autre livre publié par les « ennemis » de jadis des Cahiers du cinéma.
« Louis Seguin, conclut Nadeau, a été cet homme multiple, ce joyeux camarade, cet esprit rebelle qui, à l’occasion de la “ vente Breton “ de février 2003 nous envoyait cette lettre : « Je n’ai pas connu André Breton, n’ai jamais fait partie du “ groupe “ et n’ai pas l’intention de parler au nom de qui que ce soit. Mais je me demande tout de même si l’insurgé permanent qu’était le poète de Nadja aurait été tout à fait heureux de se voir proclamer “ patrimoine national “ avec la bénédiction de la Société des Gens de lettres… Et l’on se souvient de Désastre à Tolbiac ?, son article au vitriol sur le nouveau site de la BNF », ajoutait-il.
Malgré quelques essais dans le court métrage (Un combat de coq, en 1960 (réalisé avec Ado Kyrou), puis Une mauvaise nuit, 1962, avec Roger Coggio en vampire), il avoue n’avoir « jamais envisagé de faire son cinéma ». Son ami Eric Losfeld, éditeur des surréalistes et de Positif, publia en 1964 son premier livre, Le Sadisme au cinéma, sous le pseudonyme (obligatoire en ce temps pour un conservateur de bibliothèques publiques) de Georges de Coulteray.
« Loulou », comme disaient ses amis, était lié à Freddy Buache (le directeur de la Cinémathèque suisse) et à la « bande des Lyonnais », Bernard Chardère, Max Schoendorff… C’est Max Schoendorff qui édita en 2001, à l’URDLA, Pourquoi pleure-t-elle ?, belle et poétique réflexion à partir de « la larme cristalline qui coule de biais entre la joue et l’aile du nez » sur une des figures anatomiques en cire collectionnée par le duc d’Orléans.
Il était revenu à plusieurs reprises sur le travail de son ami le photographe Rajak Ohanian. Il donnait régulièrement des articles à ça presse...
En 1996, il consacra à Max Schoendorff un livre attentif et clairvoyant où il suit sa peinture pas à pas. Le bibliothécaire (qu’il était) et le compulsif lecteur (qu’était Max) ne pouvaient que s’entendre, et pas seulement sur la philosophie, la peinture, le cinéma en général et les Straub en particulier. Les deux amis avaient également en commun de s’être situés tout près du surréalisme. Seguin ne fut pas surréaliste, mais sans doute peut-on écrire sur lui ce que lui-même avait écrit sur Schoendorff : « Tout en entretenant de très vieilles amitiés avec certains “ surréalistes “, [il] ne rejoignit jamais le Groupe et ne partagea jamais ses activités. » Mais ils restèrent toujours, passionnément, proches des problèmes et des questions soulevées par leurs amis surréalistes.
Dominique Rabourdin