Zbyněk croit à l'avènement de la révolution, parle du surréalisme, s'insurge contre tous ces communistes qui, charriant en eux les éléments moraux du capitalisme, peuvent donner l'idée que le socialisme est pire que ce monde dont ils veulent faire table rase. Son pseudonyme, il le choisit alors comme on opte pour une arme. La cible : la fossilisation du processus révolutionnaire, les vieilles vieilleries que les dirigeants du PC imposent au pays – jusqu'à des relents d'antisémitisme.
Egon Bondy est l'homme d'une révolution qui s'est arrêtée, une révolution que toute sa vie il entend remettre en route, par une pensée qui la relance, par l'invention d'une langue poétique nouvelle, déplacée, libérée de la règle grammaticale, loin des interdits. Toujours il s'agit d'enclencher, d'accélérer le mouvement. De trouver du combustible. L'alcool peut aussi en être un de qualité. Egon se jette dans les tavernes les plus pauvres comme on se jette à l'eau pour se sauver des cendres d'un monde qui vous étouffe.
En 1949, il rencontre Honza, de son vrai nom Jana Krejcarova. Sa mère est la Milena des lettres de Kafka. C'est une femme hautainement libre. Avec elle, et quelques amis, il rédige un dictionnaire illégal de poésie, fonde une maison d'édition clandestine : Pulnoc (« Minuit »). Egon reprend des études, passe son bac à vingt-sept ans, se lance dans une thèse de philosophie, structurée dans la philosophie marxiste, qu'il écrit dans les bistrots et auprès du con de Honza. Il la soutient en 1967, à l'université Charles, de Prague.
Alors qu'il travaille comme veilleur de nuit au Musée national, Egon continue à écrire, publie sous le manteau une quarantaine de recueils de poésie, une vingtaine d'ouvrages en prose, de nombreux essais sur la philosophie et la politique. Bondy devient, au début des années soixante-dix, une icône de l'underground tchécoslovaque. Un groupe rock, dont les concerts sont interdits, s'empare de ses vers. Son nom est : The Plastic People of the Universe ; clandestinement, il sort un album intitulé Egon Bondy's Happy Hearts Club Banned. Vaclav Havel, qui est dans le coin avec d'autres, sent monter le parfum de la révolte. La Charte 77 approche, que Bondy, comme son copain Hrabal, ne signe pas. C'est qu'il a, rivé en lui, l'esprit de la révolution socialiste.
En la Tchécoslovaquie d'après la révolution de velours, il ne voit qu'une république bananière du capitalisme occidental, et en Prague qu'un nouveau Disneyland. Il refuse la partition de 1993, qui à ses yeux sert les intérêts des capitalistes tchèques au détriment des pauvres Slovaques. Egon Bondy s'en va s'installer à Bratislava, prend la nationalité slovaque, enseigne jusqu'en 1995 la philosophie à l'université Komensky.
C'est en 2001 que je rencontre Marcela Bideau à New Delhi, non loin des terres où naquit le Bouddha à qui Egon a, en 1968, consacré un essai. Dans son sac, elle a sa traduction d'un livre de Bondy, que plusieurs éditeurs ont refusée. Elle me la confie ; je l'adresse, de retour en France, à Max Schoendorff qui, tout de suite, comme une évidence, l'accueille dans la collection « Fil à plomb » (il porte le numéro 11). Le texte sort en 2004.
Journal de la fille qui cherche Egon Bondy est, aujourd'hui encore, le seul livre publié en France du poète barbu, dont l'importance de l'œuvre commence ici et là à être reconnue. Ce journal d'une fille qui, de coucheries paysannes en partouzes banlieusardes, part à la recherche d'un Egon Bondy en errance, nu, dans la campagne, est suivi d'une lettre adressée par Honza à son amant. Tous deux s'y montrent d'horribles et sublimes travailleurs occupés à faire advenir l'homme.
Un soir du XXIe siècle, Zbyněk Fišer s'endort, la cigarette aux lèvres, dans son petit appartement de Bratislava. Le feu prend à son pyjama. Il ne survit pas à ses blessures et meurt le 9 avril 2007. La fumée de sa dernière clope aura retenu ces mots : « Faut pas croire qu'un jour je serai autre chose que cette liberté qui vous nargue. »
Christian Petr