L’exaltation et la fièvre s’expriment par l’impétuosité du geste et par la démesure des pièces qu’une fois fabriquées il faudra transporter et mettre en place… Comment le Centaure, plus grand que les portes, a-t-il pu entrer sous la verrière du 9 bis à Saint-Étienne où il occupait quasiment la totalité du volume de la salle ? Le sol de la galerie parisienne Bernard Ceysson soutenait tout juste les six grandes têtes en plâtre et leur pesant socle de métal… Les produits manufacturés, les articles industriels, qui relèvent de l’ordinaire fruste, trouvent aussi immédiatement leur place dans la langue de Smati.
Les citations d’artistes ou de mouvements du XXe siècle dans les œuvres mêmes sont des clins d’œil à la fois ironiques et déférents à l’égard de maîtres qui restent des phares : un couple de chevaux bleus font signe au Blaue Reiter ; certains dessins sont montrés renversés en salut à Baselitz ; une grande sérigraphie, Assan le fou, représente l’artiste, le visage barbouillé de peinture bleue.
S’il porte un regard sur le monde d’aujourd’hui, Assan Smati ne se satisfait pas d’une position extérieure à la vie de la cité. En 1998, avec Damien Deroubaix, il transforme un ancien atelier de confection à l’arrière d’un bistrot en un lieu d’exposition. Ainsi le public stéphanois pourra découvrir Claude Lévêque, Éric Corne, Myriam Mechita, Jean-Baptiste Bouvier, Manuel Ocampo… Il parviendra à allier engagement artistique et politique au sein d’une association d’habitants de Saint-Étienne, sortes de compagnons charpentiers, qui réalisent pour les artistes des pièces monumentales.
Chaque série d’œuvres offre à Assan Smati l’occasion de s’immerger dans un nouvel affrontement technique. Il en fut de même avec l’estampe. Pour les premières lithographies imprimées et éditées à l’URDLA en 2006 il s’inspire des meutes de chiens errants qu’il a observés en Afrique. Il s’essaiera ensuite au bois gravé sans aucun doute plus proche de son geste énergique de sculpteur : il taille, creuse, griffe, poinçonne le contre-plaqué, répétant les motifs animaliers des pièces qu’il fond en plomb. Au début de l’année 2009, il vient à l’atelier avec cinq disques d’aluminium, lourds et épais : ce serait pour lui le matériau idéal pour de l’eau-forte. Après quelques recherches techniques qui nous permettent de vérifier qu’il est possible de graver l’aluminium à l’acide et de l’imprimer en taille-douce — quasiment comme le cuivre —, Assan Smati dessine et grave des animaux hybrides (papillon-pigeon, papillon-chien) qu’il place sur des fonds tramés : comme pour le bois gravé ses outils ne sont pas ceux du graveur traditionnel. L’exposition présentée à l’URDLA du 8 mai au 16 juillet 2010 témoigne de cette diversité en confrontant l’ensemble des gravures éditées avec des sculptures et des dessins.
Quelques mois après l’exposition, il se présente à l’URDLA avec une plaque de linoléum de 285 x 215 cm qu’il faudra découper en quatre pour parvenir à l’imprimer. Engel, linogravure à planche perdue en deux couleurs, préfigure les peintures monumentales qui suivront.
Cyrille Noirjean