Bernard Jund appartient à cette génération qui est née suffisamment tardivement pour avoir été dispensée de faire la guerre, mais assez précocement pour que celle-ci ait infligé à l'enfant sensible qu'il était ses blessures morales : ne commençant sa scolarité qu'à dix ans, il lui sera loisible de ne mettre au premier plan que son don principal, le dessin. De son passage à l'école Estienne, puis Normale supérieure de l'enseignement technique (ENSET), outre l'acquisition d'une solide formation, il retiendra l'encouragement d'un de ses professeurs, le graveur et peintre Gandon.
Signaler l'année 1960 comme date de sa première exposition à Lyon expose à faire état des nombreuses manifestations individuelles et collectives auxquelles il a participé. Il en sera signalé quelques-unes un peu plus loin. Celles-ci lui ont très vite attiré la curiosité de critiques comme René Deroudille, Pierre Gaudibert, ou de poètes comme Bernard Caburet ou Édouard Jaguer. Chacun d'entre eux a pu mettre l'accent sur un aspect de l'activité de Jund selon sa préférence, tant il est perceptible que Jund n'a eu cure de paraître unifier les différentes facettes de sa personnalité : il se trouve des créateurs qui, leur vie durant, ont exploré quasi obsessionnellement les variables d'une même esthétique. (On y rangerait volontiers un Pierre Soulage.) Il en est d'autres qui se sont mesurés avec les diverses tendances de leur époque, qui ont su faire leurs différents systèmes, différentes esthétiques, non par conversion à ces dernières, mais en les modelant selon leur regard propre : Bernard Jund appartient à cette lignée d'artistes.
Sa première manière, de tendance figurative expressionniste des années 58-65 fait surtout apparaître son aisance à être dans le courant de ce mouvement par ses études de nus ou de portraits. Mais dès l'instant que le toucha une sensibilité surréaliste il apporta à ce mouvement, pourtant finissant, de 65 à 75, une contribution nouvelle par ses Objets à fonctionnement. Édouard Jaguer en salua leur réalisation en ces termes : « Ouverts ou fermés, les objets de Bernard Jund, autant armures et boucliers que masques, sont les signes manifestes d'un jeu complexe, d'un rituel non réductible à ces étranges blasons érotiques en trois dimensions [...] magistralement, chez Jund, se métamorphosent la tôle, la soie, la fourrure, les chaînes, les lanières de cuir, les copeaux d'acier, en instruments de fascination. »
Peu après, cherchant à mettre sa marque personnelle dans nombre de tendances nouvelles de cette deuxième moitié du XXe siècle, il était nécessaire pour Jund de se rapprocher de ce qui s'est appelé Interventionnisme ou Art Performance. L'arc et la flèche furent les moyens de s'implanter ailleurs, par-delà la cible que constitue la toile. « En fait les gens guettent la cible. Moi, la cible ne m'intéresse pas : mon but est l'infini, la conquête de soi », déclare-t-il à Elyane Gérome en 1979. La première intervention s'est déroulée au Ranelagh, à Paris, en 1972.
La toile peinte s'était révélée insuffisante. L'Europe aussi. Et bientôt Jund entreprit un voyage en Amazonie. Ainsi que l'a noté Deroudille : « La Guyane, et la forêt équatoriale permettent à Bernard Jund de connaître des motivations plus profondes. Ses yeux trop habitués aux conventions plastiques s'émerveillent au contact des Indiens... Le peintre regagne son port d'attache enrichi par l'expérience de l'ailleurs. »
Se souvenant qu'il avait été un des tout premiers collaborateurs de l'URDLA, alors que celui -ci avait encore ses locaux installés boulevard Stalingrad, il fut demandé au lithographe habile qu'il est de donner témoignage de cette équipée sud-américaine. L'URDLA imprima sept lithographies puis dans un bel emboîtage et accompagnées d'un poème du signataire de cette notice, il les édita sous le titre très couleur locale guyannaise Touwe Touwe, (la grenouille la grenouille)
C'est l'espace d'une vingtaine d'années que se fera sentir l'influence de ce voyage. Celui-ci lui fera au tout premier chef prendre conscience de la fragilité de cette civilisation, menacée par les intrusions occidentales. Sur le plan pictural, Pierre Gaudibert a trouvé des notes justes pour caractériser le renouvellement du registre des couleurs sur la palette du peintre : « Dans les années 80, à partir d'aquarelles, Jund se remit à faire des peintures où explosent des métamorphoses d'orchidées en corps indiens, où flamboient des bouquets de plumes et de végétation amazonienne, le tout parcouru de cosses ouvertes... De ces mêmes corps indiens transmués sont nées de petites statuettes en cire, puis en grès. »
Peut-on, en quelques lignes, braquer le projecteur sur quelque cinquante ans d'activité, seulement même donner une idée de la diversité de celle-ci ?
Collectives ou individuelles, on dénombre plus d'une trentaine d'expositions. Elles nous font passer de l'animateur du groupe Solstice à Vierzon au plasticien (désignation qu'il récuse !) installé au Moëlan-sur-Mer, et qui a pris à son compte cet acte de foi d'Achille Chavée : « Je suis un vieux Peau-Rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. »
Retenir quelques dates constitue-t-il un repère temporel pertinent pour qui a tenté de recenser les filières esthétiques susceptibles sinon de resacraliser la vie, du moins à partir du quotidien de faire de l'événementiel chauffé à blanc... par toutes les couleurs ?
1960 galerie Petersen Lyon
1969 SIGMA Bordeaux
1975 Armes et Bagages galerie Verrière Lyon
1978 Imagination musée de Bochum
1990-92-94 MAC 2000 au Grand Palais à Paris
1999 MAC 2000 à l'espace Tour Eiffel, quai Branly à Paris
1992 galerie Cical Goas Paris
1992 espace André Malraux Tarare
2002 Manufacture Nantes
entre autres...
plusieurs Interventions à partir de 1972
collections publiques : Paris, Lyon, Vénissieux, Tarare, Grande Synthe, près de Dunkerque.
Récemment, Bernard Jund a rédigé un long récit autobiographique, qui explore nombre de contours familiaux et environnementaux significatifs de la formation de sa sensibilité. À paraître en 2015.
Résumant l'impression que lui faisait une approche de l'œuvre de Bernard Jund, Bernard Caburet la spécifiait de la façon suivante :
« Bernard Jund, hiérurge, érotise et sacralise la vie quotidienne dans une même opération où l'éthique et l'esthétique sont indissociées, et nous communique cette unique certitude morale de l'intuition qu'il dépend de nous que le monde soit conforme à notre volonté. »
Robert Guyon