L’artiste n’a pas débuté en gravure à l’URDLA, mais c’est dans cet atelier, et avec l’aide de toute l’équipe, qu’il a pu créer plusieurs planches impressionnantes, non seulement par leur format, mais également par une certaine image du pouvoir, de l’autorité et de la manipulation, qu’elles renvoient. Au Centre international estampe et livre de Villeurbanne (URDLA), l’artiste expérimente et imprime des épreuves (exposées en 2011 à proximité des presses), en veillant à ne pas les désolidariser des sculptures, d’objets et autres créations suspendues.
Tout a commencé à l’adolescence avec les premiers tatouages qu’il exécute sur lui-même. Gygi voulait être orfèvre (il y viendra bien plus tard) mais, ayant plutôt emprunté les chemins de la délinquance, il entre au Centre genevois de gravure contemporaine, apprend les techniques de l’estampe aux côtés de Daniel Divorne, en cours du soir puis à plein temps. 1983-1984, un bref passage à l’École des arts décoratifs, pour aboutir aux Beaux-Arts de Genève (aujourd’hui Haute école d’art et de design), il s’éloigne alors du multiple et se tourne vers la sculpture, la photographie et la création d’objets. Ainsi, dès les années 1990, en exposant des grilles, des abris, des paravents, des gradins, des estrades, des structures antiémeutes, il questionne l’ambivalence des objets tantôt agresseurs ou protecteurs. La rencontre avec Max Schoendorff et Cyrille Noirjean a eu lieu en 2002 autour d’un projet réunissant Christophe Cherix, alors conservateur du Cabinet des estampes au musée d’Art et d’Histoire de Genève et une association suisse d’amoureux de l’estampe (la SGG). Une fois par an, la Société suisse de gravure commande une estampe à un artiste, cette dernière est tirée à plus de cent exemplaires pour être donnée à ses membres. « J’avais envie de faire de grandes estampes, Christophe était emballé par le projet, il y avait un peu d’argent pour le faire et on s’est dit : Allons-y, on va encombrer tout le monde avec un truc énorme ! » Treillis est une très grande gravure sur linoléum en noir, au contenu minimaliste dans sa forme, une variation sur papier d’une palissade en métal zinguée, les plans en sont reproduits dans le livre
A Manual, sorti pour la Biennale de Venise en 2009 et présenté au Pavillon suisse. « Dans le livre A Manual, il y a toute une évolution car ce ne sont que des dessins de projets d’installations, d’objets. Comme il y avait déjà eu pas mal de livres sur mes gravures et les installations et que je n’avais jamais vraiment montré mes dessins préparatoires, j’ai fait ce livre. Mais certains des projets n’ont jamais vu le jour et d’autres par trois fois. C’est un catalogue sans texte, sans explications, mais avec les cotes, les matériaux, pour aider les faussaires ! » Faire des estampes de grand format n’est pas compliqué en soi et Gygi en a déjà imprimé à la cuillère mais la complexité est de bien imprimer les cent cinquante exemplaires. C’est d’ailleurs pour cela que Christophe Cherix a fait appel à l’URDLA. La difficulté était aussi au niveau du délai demandé. L’URDLA a accepté le défi : pour cela la presse taille-douce a été entièrement transformée. « En fait, jusqu’à ce moment-là, je ne faisais que des estampes de petite taille en linoléum et tout d’un coup j’ai eu envie de changer de format. C’était aussi à un moment où j’ai fait un peu rejoindre mon travail d’installations et d’estampes, alors qu’auparavant les deux étaient séparés. Ce changement d’échelle était une manière de réunir des pièces que j’avais faites. J’ai construit pas mal de pièces avec du treillis. C’est un matériau important dans mon travail qui fonctionne graphiquement. Mais les estampes et les installations ne sont jamais exposées ensemble. » Dans la foulée, l’URDLA propose à Fabrice de continuer cette série de 2 m par 1 m 10, en éditant Bâche, œillet, sangle (2003). En 2004, sort une linogravure, Septerbar, une sorte d’arme énigmatique. « Septerbar est une sorte de sceptre moderne, un symbole royal, c’est le bâton du pouvoir. C’est un jeu, une barre avec des ficelles pour diriger un cerf-volant. Je trouvais assez drôle cet objet avec des ficelles qui s’appelle Septerbar et qui est justement pour diriger.»
En 2008, pour le trentième anniversaire de l’URDLA, Gygi participe avec une grande linogravure (perdu) en couleurs, à XXX URDLA : MCMLXXVIII - MMVIII : Collection de 13 gravures monumentales, portfolio collectif réunissant Daniel Aulagnier, Rudolf Bonvie, Damien Deroubaix, Pascale Hémery, Doris Hoppe, Rémy Jacquier, François Martin, Charles de Montaigu, Manuel Ocampo, Onuma Nemon, Max Schoendorff et Assan Smati. Enfin en 2009, il crée un autre grand lino, Electro-patch.
Les citations sont issues d’un entretien avec l’artiste, publié simultanément dans les Nouvelles de l’estampe à l’automne 2011 et dans le catalogue de l’exposition Gygi grave à l’URDLA.
Lise Fauchereau